L’Afrique a un calendrier électoral chargé en 2024, avec 19 pays où se tiendront des élections présidentielles ou générales. Les scrutins vont d’élections multipartites concurrentielles à des exercices électoraux superficiels. Les deux tiers de ces scrutins se dérouleront au cours du dernier trimestre de l’année.
Une série d’élections en Afrique australe, où un parti unique a longtemps dominé, pourraient voir leur première transition de pouvoir, tandis que d’autres pourraient devoir former une coalition basée sur un partage de pouvoir. Cela reflète potentiellement une maturation saine du multipartisme tout en encourageant l’innovation.
Plusieurs pays du Sahel qui ont subi des coups d’État ces dernières années devraient organiser des élections cette année dans le cadre du calendrier convenu pour le retour à un régime civil. Le moment et la manière dont ces élections se dérouleront détermineront la trajectoire de la gouvernance dans cette région et la menace croissante à la sécurité à laquelle elle est fait face.
Près de la moitié des élections ont peu de chances d’être concurrentielles en raison de la lourdeur de la gestion du processus électoral par des dirigeants sortants bien installés. Ces processus soulèvent des questions sur le continent quant à ce qui définit une véritable élection et à la légitimité qui découle d’un mandat populaire authentique. Nombre de ces pays doivent surmonter un long héritage de gouvernement militaire direct ou indirect.
Ces contextes électoraux très contrôlés posent des défis aux communautés économiques régionales, à l’Union africaine, aux médias et aux acteurs démocratiques internationaux, qui doivent trouver le moyen de différencier les simples exercices des élections concurrentielles et, ce faisant, de mieux définir les normes électorales. Si ce n’est pas le cas, la barre des attentes ne s’en trouvera que réduite.
Le désir profond des citoyens de faire entendre leur voix est thème commun et durable dans ces pays, notamment dans le cadre de l’aspiration du continent à une gouvernance plus réactive, plus orientée vers le service public et plus démocratique.
Voici quelques points à surveiller dans chaque pays.
Pays | Type d'élection(s) | Date |
---|---|---|
Comores | Présidentielle | 14 janvier |
Mali | Présidentielle | 4 février (reportée) |
Sénégal | Présidentielle | 24 mars |
Tchad | Présidentielle et législative | 6 mai |
Afrique du Sud | Général | 29 mai |
Mauritanie | Présidentielle | 29 juin |
Burkina Faso | Présidentielle | Juillet (reportée) |
Rwanda | Présidentielle et législative | 15 juillet |
Algéria | Présidentielle | 7 septembre |
Tunisie | Présidentielle | 6 octobre |
Mozambique | Présidentielle et législative | 9 octobre |
Botswana | Général | 30 octobre |
Maurice | Général | 10 novembre |
Somaliland | Présidentielle et législative | 13 novembre |
Namibie | Présidentielle | 27 novembre |
Ghana | Présidentielle et législative | 7 décembre |
Soudan du Sud | Présidentielle et législative | 22 décembre (reportée) |
Guinée-Bissau | Présidentielle | Décembre (reportée) |
Guinée | Présidentielle et législative | Décembre (reportée) |
En outre, quatre élections législatives sont prévues cette année : au Togo (29 avril), à Madagascar (29 mai) et en Somalie (30 novembre).
Comores
Élections présidentielles, 14 janvier
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Lors du premier scrutin présidentiel de l’année ce 14 janvier, le président sortant Azali Assoumani se présente pour un quatrième mandat autorisé après le passage du référendum controversé de 2018 qui lui a permis de contourner la limite de mandats présidentiels. La nouvelle constitution a démonté l’accord de Fomboni de 2001 qui avait inauguré une période de stabilité politique de plus de 15 ans dans l’archipel de 880 000 personnes. Cet accord avait consacré une formule de partage de pouvoir qui faisait tourner la présidence après un seul mandat parmi les trois îles principales de Grande Comore, Anjouan et Mohéli. Cet accord historique avait sonné le glas d’une ère pendant laquelle les Comores avaient subi 20 putschs depuis son indépendance en 1975.
En contournant les limites de mandats, Assoumani a érodé ce progrès démocratique et la stabilité.
En contournant les limites de mandats, Assoumani a érodé ce progrès démocratique et la stabilité. La constitution de 2018 a par ailleurs consolidé le pouvoir de la primature suprême en supprimant les trois postes de vice-président qui chacun représentaient l’une des trois îles.
Le colonel Azali Assoumani avait d’abord pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 1999 et avait par la suite été président pendant un mandat, de 2001 à 2006. Après son retrait, les Comores avaient vécu trois transitions présidentielles pacifiques, y compris deux impliquant des transferts entre différents partis politiques et, en 2016, le retour d’Assoumani à la présidence. Cependant, au lieu de maintenir le système de partage du pouvoir en faisant tourner la présidence, Assoumani a suspendu la Cour constitutionnelle, une institution démocratiquement élue. Il a ensuite transféré ses fonctions électorales à la Cour Supreme, dont les membres sont nommés par le président en personne. Cette manoeuvre lui a permis d’obtenir un deuxième mandat consécutif (et un troisième en tout) lors du scrutin contesté de 2019 et ce malgré le rejet des résultats par 12 candidats de l’opposition. Les observateurs, à la fois de l’Union africaine et d’ailleurs, avaient estimé que le vote avait été entaché d’irrégularités.
Le dernier mandat d’Assoumani s’est caractérisé par la répression de l’opposition et une réduction de la liberté de la presse.
Le dernier mandat d’Assoumani s’est caractérisé par la répression de l’opposition et une réduction de la liberté de la presse. Les journalistes s’auto-censurent, le résultat d’une atmosphère d’intimidation et de la peur de se trouver arrêtés. Les manifestations sont régulièrement interdites. La police et l’armée menacent et arrêtent les membres des partis d’opposition. Beaucoup ont fui le pays et la migration irrégulière vers l’île française de Mayotte a beaucoup augmenté. En 2022, l’ancien président et membre du parti de l’opposition Juwa, Ahmed Abdallah Sambi, a été condamné à la prison à vie pour corruption. Nombre sont ceux qui estiment que l’affaire était politiquement motivée pour empêcher ce dirigeant de l’opposition de se présenter à l’élection de 2024.
L’autoritarisme grandissant d’Assoumani suit un schéma selon lequel les dirigeants africains s’arrogent le pouvoir par des moyens extraconstitutionnels et ensuite bafouent les contraintes légales à l’échéance de leur mandat. De telles actions ne sont pas isolées, elles font plutôt partie d’une détérioration répandue des freins et contrepoids démocratiques.
Certains partis d’opposition comoriens ont appelé à boycotter l’élection présidentielle du 14 janvier. Ils prétendent que le scrutin ne sera ni libre, ni juste et que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est favorable à Assoumani. L’opposition a aussi appelé à ce que tous les prisonniers politiques soit libérés, que les membres de la CENI soient remplacés par une institution indépendante et que l’armée se maintienne hors du processus électoral. L’opposition avait aussi boycotté le référendum de 2018 et l’élection présidentielle de 2019 pour protester contre la subversion par Assoumani de l’accord de partage du pouvoir.
L’autoritarisme grandissant d’Assoumani suit un schéma selon lequel les dirigeants africains s’arrogent le pouvoir par des moyens extraconstitutionnels et ensuite bafouent les contraintes légales à l’échéance de leur mandat.
Les dirigeants de l’opposition s’inquiètent aussi de la possibilité qu’Assoumani, qui est âgé de 65 ans, prépare son fils de 39 ans, Nour El Fath Azali, à lui succéder. Une telle succession dynastique représenterait un nouveau revers pour les bénéfices démocratiques âprement acquis et pour la stabilité dont les Comores avaient bénéficié sous la constitution de 2001.
Mali
Élections présidentielles, 4 février (reportées)
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La junte militaire malienne a une nouvelle fois reporté la tenue d’élections visant à rétablir un gouvernement civil démocratique, en dépit des assurances répétées qu’elle les organiserait.
Cette dernière promesse non tenue concernait l’organisation d’élections présidentielles le 4 février 2024. Cette date a été reportée avec désinvolture en septembre 2023 pour des « raisons techniques ». Seuls les plus crédules avaient été surpris par cette annonce. La junte militaire du colonel Assimi Goïta n’a fait aucun effort sérieux pour préparer les élections depuis qu’elle a renversé le gouvernement démocratiquement élu d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Keïta avait remporté un deuxième mandat de quatre ans lors d’élections crédibles en 2018, avec 67 % des suffrages exprimés.
Goïta a procédé à un nouveau coup d’État en mai 2021, lorsque le président de transition Bah Ndaw et son premier ministre, Moctar Ouane, avaient commencé à prendre des mesures pour organiser des élections, conformément à l’engagement pris par la junte d’une transition de 18 mois qui devait culminer avec des élections en février 2022. Après de nouvelles négociations et promesses avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, au cours desquelles la junte de Goïta a réclamé une transition de cinq ans, la date de février 2024 avait été fixée.
L’espace démocratique s’est considérablement réduit sous la junte.
L’espace démocratique s’est considérablement réduit sous la junte. Les opposants politiques et les acteurs indépendants de la société civile sont intimidés, tandis que les journalistes sont menacés, voient leur accréditation révoquée ou sont arrêtés. Les médias subissent des pressions pour la couverture des « nouvelles patriotiques ». Les médias nationaux et internationaux qui critiquent la junte sont suspendus. C’est le cas de Radio France Internationale (RFI) et de France 24, qui ont dénoncé les violations des droits humains commises par la junte malienne. Ces pressions ont eu pour effet le renforcement de l’autocensure.
La junte est également hostile au signalement public de son accord avec le groupe mercenaire russe Wagner sur l’envoi d’un millier de ses soldats pour un coût de 10,9 millions de dollars par mois. Wagner et la junte malienne ont par la suite été associés à plus de 300 cas de violations des droits humains à l’encontre de citoyens maliens.
La junte s’est montrée tout aussi hostile à l’égard de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui était la principale entité internationale à enquêter sur les allégations de violations des droits humains commises par la junte. La junte a déclaré Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, le responsable des droits humains pour la mission de maintien de la paix de l’ONU (MINUSMA), persona non grata en 2021 pour n’avoir pas propagé le discours de la junte. En 2023, elle a exigé le retrait de la mission, qui avait été le principal organe indépendant à dénoncer les violations des droits humains commises par la junte, comme les allégations d’un massacre de 500 civils maliens perpétré par l’armée malienne et Wagner dans la ville de Moura en 2022. La sécurité s’est ensuite détériorée dans de nombreuses régions du nord et du centre du Mali d’où la MINUSMA s’est retirée.
La junte malienne a pu contrôler l’espace d’information avec le soutien de campagnes de désinformation financées par l’État russe qui mènent de vastes opérations d’information dans le pays et utilisent leur présence en ligne pour intimider et faire taire les critiques de la junte.
La junte a mis en scène un référendum en juin 2023 qui a consolidé le pouvoir au sein de la présidence et a permis aux dirigeants de la junte de faire partie d’un nouveau gouvernement, ouvrant ainsi la voie au maintien de Goïta au pouvoir. Ce processus a manqué de crédibilité car il a exclu de larges pans de l’échiquier politique malien et de la société civile, ce qui a conduit au boycott du référendum. L’opposition a contesté le principe même qu’une autorité non élue soit dotée d’un mandat de modifier la Constitution. Selon les estimations, seuls 28 % des électeurs éligibles ont participé.
Malgré les intimidations, les groupes politiques civils continuent de s’opposer à la prise de pouvoir par l’armée. Le Mouvement-Rassemblement des Forces patriotiques du 5 juin (M5-RFP), une coalition politique, et d’autres groupes d’opposition ont dénoncé le report des élections. Comme l’a fait remarquer un membre du parti d’opposition, « pour nous, chaque report conduira toujours à un autre report ».
La principale conséquence du report des élections de février 2024 par la junte est l’intention apparente de maintenir indéfiniment le gouvernement militaire. L’armée a gouverné le Mali pendant la majeure partie de la période allant de l’indépendance à la transition vers un gouvernement civil en 1991, laissant dans son sillage un héritage de coups d’État, de développement économique anémique et de répression.
Depuis le coup d’État d’août 2020, Goïta a organisé plusieurs cérémonies publiques pour réhabiliter la perception de la gouvernance militaire. Peu après son arrivée au pouvoir, Goïta a demandé conseil à l’ancien dictateur militaire Moussa Traoré lors d’une visite publique à sa résidence de Bamako. Lors des cérémonies de la fête de l’indépendance du Mali, les soldats ont aussi salué et accueilli le chef du coup d’État de 2012, le général Amadou Haya Sanogo.
Bien que le report de l’élection du 4 février au Mali puisse être négligé par les observateurs, cette date revêt une grande importance pour de nombreux Maliens et pour la trajectoire de la gouvernance et des perspectives démocratiques du Mali.
Sénégal
Élections présidentielles, 24 mars (reportées du 25 février*)
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(*Voir l’explication.)
Le 3 février, le président Macky Sall avait plongé le Sénégal dans une crise politique en annonçant le report de l’élection présidentielle prévue trois semaines plus tard. Le Sénégal n’avait jamais connu de report d’une élection. Dans un vote contesté au parlement dominé par la majorité présidentielle, l’élection avait été reportée au 15 décembre, ce qui aurait prolongé le mandat du président de huit mois au-delà de son échéance constitutionnelle. Sall a cependant rebroussé chemin, après les vives protestations des acteurs domestiques et internationaux et une décision du Conseil Constitutionnel jugeant le report illégal, et annoncé que l’élection se tiendrait le 24 mars.
L’élection présidentielle de 2024 au Sénégal représente un tournant dans l’évolution du pays vers une gouvernance plus responsable, plus réactive et plus démocratique. Le président Mack Sall se retire après un second mandat, conformément à la limite constitutionnelle. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, l’élection permettront d’inaugurer un nouveau leadership national.
Le Sénégal a réalisé des progrès notables depuis la première transition entre les partis en 2000, lorsque le président sortant, Abdou Diouf, a perdu sa course à la réélection et s’est retiré. En 2012, un autre candidat d’un parti d’opposition (Macky Sall) avait encore remporté les élections et accédé au pouvoir, ce qui constitue l’un des principaux indicateurs de la consolidation de la démocratie.
Au Sénégal, une société civile active et organisée, et où les jeunes participent de manière dynamique, a joué un rôle déterminant dans les progrès démocratiques du pays. Elle a tenu les fonctionnaires responsables du respect des limites de mandat et des processus démocratiques, un processus qui n’a pas toujours été simple et sans embuches.
L’organe de gestion des élections du Sénégal, la Commission électorale nationale autonome, a acquis une réputation d’indépendance, comme en témoigne la perte de sièges par le parti au pouvoir lors des élections législatives de 2022 et des municipales de 2023. La première est importante puisqu’elle a modifié le paysage législatif, passant d’une quasi super majorité pour la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) au pouvoir à une quasi-parité avec une coalition de partis d’opposition, ce qui a nécessité de véritables débats et compromis. L’opposition contrôle également la majorité dans les principales municipalités du Sénégal.
Le Sénégal s’est en outre distingué de ses voisins d’Afrique de l’Ouest en construisant et en soutenant une armée apolitique avec une culture de professionnalisme militaire et de service au public. Cela a énormément contribué à la stabilité du pays et à la confiance du public. Les 85 % de la population sénégalaise qui déclarent faire confiance à l’armée sont parmi les plus élevés du continent.
Les dernières années du mandat du Président Macky Sall ont été marquées par des menaces sur les acquis démocratiques du pays.
Malgré ces qualités démocratiques louables, les dernières années du mandat du Président Macky Sall ont été marquées par des tensions accrues et des menaces sur les acquis démocratiques du pays. Tout d’abord, le président Sall a longuement flirté avec la possibilité de briguer un troisième mandat interdit par la Constitution et que sa proposition de reporter l’élection de 2024 n’a fait qu’alimenter. De nombreux Sénégalais craignaient que M. Sall ne tente de rejoindre la tendance des dirigeants africains à se soustraire à la limitation du nombre de mandats et qu’il n’ébranle le précédent durement acquis par le pays sur cette question.
Deuxièmement, l’administration Sall a tenté d’empêcher Ousmane Sonko, considéré comme un candidat important du parti des patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), de concourir. Maire de Ziguinchor, Sonko est populaire auprès de la jeunesse du Sénégal pour son discours enflammé et ses prises de position fermes contre la corruption. Il a passé une grande partie de l’année dernière en prison ou à l’hôpital à la suite d’une grève de la faim pour protester contre ce qu’il considérait comme une détention injustifiée. La répression policière des manifestations entourant la condamnation et le procès de Sonko aurait fait 50 morts entre 2021 et 2023 au sein de cette population habituellement pacifique. Des centaines d’autres ont été arrêtées. Une loi d’amnistie passée dans les négociations pour reprogrammer les élections a permis de libérer les manifestants politiques arrêtés depuis 2021. Cependant, les groupes de promotion des droits humains ont critiqué l’amnistie estimant qu’elle exonérerait les fonctionnaires et les agents des services de sécurité impliqués dans la violente répression pendant le mandat de Sall.
De nombreux observateurs indépendants considèrent que les accusations portées contre Sonko sont motivées par des considérations politiques, car elles s’inscrivent dans une tendance remontant à l’élection de 2019 selon laquelle l’administration Sall accuse les principaux candidats de l’opposition d’activités criminelles, ce qui a pour effet de faire dérailler leurs candidatures. Sonko et Karim Wade (le fils de l’ancien président Wade) avait été empêchés de se présenter en 2019 en raison d’accusations criminelles à leur encontre. Wade ne peut quant à lui pas se présenter en 2024 en raison de sa double nationalité.
L’élection présidentielle est perçue comme grande ouverte. Le porte-drapeau de la coalition BBY de Sall pour la présidentielle est Amadou Ba, l’ancien premier ministre et ancien ministre des Finances et des Affaires étrangères. Bassirou Faye, un inspecteur des finances de 43 ans, est la tête de liste du PASTEF d’Ousmane Sonko.
Les principaux candidats de l’opposition sont l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall (sans lien de parenté avec Macky Sall), l’ancien premier ministre (de 2002 à 2004) Idrissa Seck, l’ancien premier ministre (de 2014 à 2019) Mahammed Boun Abdallah Dionne, le maire de Linguere et ancien ministre de l’Énergie et de l’intérieur Aly Ngouille Ndiaye et Anta Babacar Ngom, la seule femme candidate, qui dirige la plus grande entreprise avicole du Sénégal. Le Sénégal utilise un système de vote à deux tours, qui exige que le candidat gagnant recueille plus de 50 % des voix.
Les élections au Sénégal de 2024 seront l’occasion de reconstruire la cohésion sociale et d’aborder de nombreuses questions stratégiques.
L’élection sera, avec un peu de chance, l’occasion pour les Sénégalais de tourner la page et de se concentrer sur les priorités futures du pays. Il s’agit notamment de s’attaquer au chômage des jeunes, qui atteint 20 % malgré une croissance économique annuelle par habitant de 3,4 % en moyenne pendant le mandat de M. Sall. Ces incongruités s’inscrivent dans un schéma d’inégalités croissantes ressenties au Sénégal. Ces divergences s’expliquent aussi en partie par la croissance rapide de la population du Sénégal (2,5 % par an), qui fait que 43 % de la population est âgée de moins de 15 ans. Le Sénégal est également confronté à la perte de terres cultivables en raison des inondations côtières et des sécheresses à l’intérieur des terres, ce qui a des implications politiques directes pour un pays où les trois quarts de la population active tirent leurs moyens de subsistance de la terre.
Avec la menace croissante de l’extrémisme violent au Mali voisin qui s’étend vers l’ouest, le Sénégal est également confronté à un risque accru de violence des islamistes militants. Les indications selon lesquelles ces groupes militants (notamment la Katiba Serma) tentent de s’implanter dans les communautés de l’Est du Sénégal, qui se recoupent avec celles de l’autre côté de la frontière, ne font que renforcer ce constat.
Le Sénégal est également confronté à des campagnes de désinformation de plus en plus importantes soutenues par la Russie, qui menacent de semer la confusion et la désillusion à l’égard de la démocratie, du gouvernement et des liens entre le Sénégal et l’Occident. Elles s’accompagnent de campagne de désinformation nationale et des islamistes militants qui cherchent à exploiter les griefs à des fins politiques.
Outre la transition vers un nouveau dirigeant et la consolidation du précédent du Sénégal en matière de transitions politiques ordonnées, les élections de 2024 au Sénégal présenteront une occasion de reconstruire la cohésion sociale et de mettre le pays sur la voie de la résolution d’une série d’autres problèmes stratégiques.
Tchad
Élections présidentielles et législatives, 6 mai
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Tout porte à croire que les élections présidentielles et législatives de mai au Tchad seront un exercice hautement orchestré pour assurer le maintien au pouvoir du Général Mahamat Déby. Déby a pris le contrôle du gouvernement tchadien lors d’un coup d’État militaire en avril 2021, après la mort de son père, le Président Idriss Déby, qui s’était lui-même emparé du pouvoir lors d’un coup d’État 30 ans plus tôt.
En raison de la façon anticonstitutionnelle par laquelle il est arrivé au pouvoir, Mahamat Déby fait face à un déficit de légitimité persistant. En prenant le pouvoir exécutif, il avait promis une transition vers des élections démocratiques dans un délai de 18 mois. Au lieu de respecter cet engagement, il a organisé un dialogue national étroitement contrôlé par les loyalistes. Le dialogue a abouti au résultat prévisible que la transition devrait être prolongée de deux ans et que les dirigeants de la junte pourraient entrer dans le gouvernement civil suivant, ce qu’ils avaient initialement abjuré.
Le Tchad n’a jamais connu de transition électorale pacifique malgré la demande persistante et généralisée de normes démocratiques de la part des Tchadiens.
Pour marquer la fin des 18 mois initialement prévus par la junte, les partis d’opposition, les leaders de la société civile et les Tchadiens ordinaires désireux d’instaurer la démocratie et de revenir à un régime constitutionnel ont organisé des manifestations le 20 octobre 2022. L’armée tchadienne a violemment réprimé les manifestants non armés, faisant environ 300 morts et procédant à des centaines d’arrestations.
Mais, afin de poursuivre seule sa transition et en ignorant le boycott de l’opposition, la junte a fait passer un référendum en décembre 2023 qui a adopté une nouvelle constitution, approuvé la participation des membres de la junte à un gouvernement élu et fixé la date des élections à novembre 2024. Cette décision a suivi une amnistie générale pour toutes les personnes responsables des violences commises contre les manifestants en octobre 2022. Certains partenaires occidentaux ont largement laissé passer l’occasion de mettre en œuvre de véritables réformes démocratiques au Tchad, compte tenu du rôle stabilisateur que ce pays est censé jouer au Sahel. Les principaux acteurs africains, quant à eux, craignent que l’instabilité du Tchad n’ait des répercussions sur ses six voisins. Par exemple, la Communauté économique des États d’Afrique centrale, dont le Tchad est membre, est loin d’attendre du Tchad qu’il respecte les normes démocratiques.
Un rebondissement à l’approche des élections a été la nomination d’un dirigeant de l’opposition, Succès Masra, en tant que nouveau premier ministre de la junte. Le dirigeant populaire du parti réformiste, Les Transformateurs, l’un des principaux organisateurs des manifestations d’octobre 2022, Masra avait fui le Tchad après la violente répression de l’armée. De nombreux membres de son mouvement avaient été tués ou arrêtés. La junte avait ensuite lancé un mandat d’arrêt international contre lui. Dans le cadre d’un accord négocié pour permettre son retour d’exil, le mandat a été annulé et 72 membres de partis d’opposition détenus libérés.
La mort par balle de l’opposant Yaya Dillo Djérou et de douzaines de ses supporters dans un des affrontements avec les forces de sécurité le 28 février a envoyé un message très clair aux acteurs politiques tchadiens qu’aucune menace réelle à la mainmise de Déby sur le pouvoir ne serait tolérée. Dillo, un cousin de Déby, dirigeait le parti des « Socialistes sans frontières » qui avait attiré le soutien d’anciens officiers militaires distingués. Dillo était aussi un influent leader de l’ethnie Zaghawa de Déby, dont le fief se trouve le long de la frontière du Tchad avec le Soudan. Dillo s’était fortement opposé au soutien tacite du Tchad pour les Forces de soutien rapide (FSR) dans la guerre civile soudanaise.
Les modifications constitutionnelles arbitraires, les retards électoraux prolongés, les assassinats et la cooptation des principales figures de l’opposition étaient des mesures familières dans le manuel de jeu autocratique d’Idriss Déby. Cette tactique a permis à Déby père de conserver la présidence pendant six mandats, alors même que la constitution tchadienne prévoyait une limite à deux mandats pendant la majeure partie de son règne.
Cette vision d’une constitution malléable a permis à la famille Déby et à l’armée, qui sert de force motrice au trône, de consacrer un système de succession héréditaire qui lui permet de rester au pouvoir indéfiniment.
Cet arrangement est l’une des principales raisons pour lesquelles le Tchad n’a jamais connu de transition électorale pacifique malgré les demandes généralisées de normes démocratiques de la part des Tchadiens. Cette situation a contribué à l’instabilité persistante à laquelle le Tchad a été confronté au fil des décennies, avec de multiples rébellions armées, des assassinats politiques, des crises économiques et des disparités croissantes dans ce pays riche en pétrole de 17 millions d’habitants, qui se classe tout en bas de l’échelle de l’indice de développement humain des Nations unies.
Mahamat Déby fait face à un déficit de légitimité persistant.
Le Tchad devra également faire face en 2024 à l’intensification de l’instabilité régionale et des tensions transfrontalières. Le conflit au Soudan, qui ne cesse de se fragmenter, est le principal de ces problèmes. Les combats entre l’armée soudanaise et la milice rivale FSR, dirigée par Mohamed « Hemedti » Hamdan Dagalo, qui ont éclaté en avril 2023, ont provoqué l’afflux de plus de 700 000 réfugiés soudanais dans l’est du Tchad (en plus des 600 000 réfugiés que le Tchad accueillait déjà). En réponse, l’armée tchadienne a fourni des escortes armées aux groupes humanitaires venant en aide à ces réfugiés.
Ces mouvements de population sont sensibles étant donné que le Tchad et le Soudan ont l’habitude de soutenir des mouvements rebelles sur leurs territoires respectifs, généralement centrés sur la région rétive du Darfour, dans l’ouest du Soudan, qui a fait l’objet d’attaques des FSR contre des civils, notamment ceux de la tribu des Zaghawa à laquelle appartient Déby. Les dirigeants zaghawas font pression sur Déby pour qu’il soutienne les groupes rebelles du Darfour qui résistent aux FSR. Cependant, certains rapports indiquent que Déby autoriserait les Émirats arabes unis à utiliser le Tchad comme base de ravitaillement pour les FSR. Ces derniers bénéficieraient également d’un soutien russe provenant de la Libye et de la République centrafricaine. Moscou est également lié au financement de groupes rebelles armés dans le sud du Tchad.
Le Tchad se situant entre le parrainage russe et les gouvernements militaires du Sahel occidental et du Soudan, il pourrait être entraîné plus profondément dans la dynamique géopolitique régionale et internationale, ce qui accentuera son instabilité en 2024.
Afrique du Sud
Élections générales, 29 mai
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En 2024, l’Afrique du Sud sera confrontée aux élections nationales les plus imprévisibles de l’ère postapartheid. Le Congrès national africain (ANC) a dominé chaque scrutin depuis 1994, ce qui lui a permis d’obtenir une majorité parlementaire absolue et ainsi de choisir le président et initier des lois de manière indépendante.
Cela pourrait changer au cours de ce cycle électoral. Les sondages suggèrent que l’ANC pourrait, pour la première fois de son histoire, obtenir moins de 50 % des voix au niveau national, ce qui reflète les tendances observées lors des récentes élections municipales et locales.
La baisse de popularité de l’ANC s’inscrit dans une tendance constante observée depuis 2007 et est attribuée à la perception d’une corruption systémique croissante au sein du parti, à l’insularité de l’ANC par rapport aux Sud-Africains ordinaires et à la mauvaise prestation de services, incarnée par les coupures d’électricité à répétition. L’Afrique du Sud est également confrontée à des inégalités croissantes, à la pauvreté et au chômage des jeunes. Plus de 60 % des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage, et nombre d’entre eux dans les vastes townships d’Afrique du Sud peinent à trouver de quoi manger. La longue domination de l’ANC fait qu’il est difficile d’échapper à la responsabilité de ces griefs populaires.
La baisse de popularité de l’ANC est attribuée à la perception d’une corruption croissante, d’une insularité par rapport aux Sud-Africains ordinaires et d’une mauvaise prestation de services.
Les partis d’opposition, quant à eux, ont accru leur capacité, leur expérience et poids politique à former des coalitions, ce qui leur a permis de réduire progressivement les majorités parlementaires de l’ANC, y compris dans ses bastions historiques.
La perception d’impunité, associée aux systèmes politiques de partis dominants, rendent l’ANC — et donc le gouvernement — vulnérable à la capture de l’État (c’est-à-dire le contrôle de la prise de décision gouvernementale par le secteur privé ou des acteurs extérieurs). L’influence du réseau d’intérêts privés des frères Gupta au sein de l’administration de Jacob Zuma, empreinte de favoritisme, en est l’illustration la plus frappante.
Bien que l’ANC ait remplacé Zuma à la tête du parti en 2018 par Cyril Ramaphosa, lui ouvrant ainsi la voie à prendre la direction du parti pour les élections de 2019, l’ANC reste déchiré par des divisions internes. Alors que Ramaphosa a lentement augmenté son soutien au sein de l’architecture du parti et qu’il sera à nouveau son porte-étendard lors des élections de 2024, le parti est de plus en plus fragmenté. Le soutien de M. Zuma à un nouveau parti, l’uMkhnoto weSizwe, est un défi direct au leadership de M. Ramaphosa. Cette décision fait suite à la création d’un autre parti, le Congrès africain pour la transformation, par l’ancien secrétaire général de l’ANC, Ace Magashule, après son expulsion du parti pour mauvaise conduite.
Même s’il n’obtient pas la majorité des voix, l’ANC conserve plus de soutien que tout autre parti politique en Afrique du Sud. Le principal parti d’opposition est l’Alliance démocratique (DA), dirigée par John Steenhuisen, qui, selon les sondages, attire entre un quart et un tiers de l’électorat, essentiellement grâce à un programme de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Il doit cependant surmonter l’impression d’être un parti dominé par les Blancs. La DA a conclu une alliance appelée « Charte multipartite pour l’Afrique du Sud » avec six pour la plupart petits partis.
L’ANC est également confronté au parti des Combattants de la liberté économique (EFF), dirigé par Julius Malema, un ancien dirigeant de la Ligue de la jeunesse de l’ANC. L’EFF a appelé à des politiques populistes telles que la fourniture de logements par l’État, la nationalisation des mines et d’autres secteurs stratégiques de l’économie et la redistribution des terres. Les sondages indiquent que l’EFF attire environ 10 % de l’électorat.
Plutôt que de voter pour un parti d’opposition, les partisans mécontents de l’ANC pourraient tout simplement ne pas se rendre aux urnes, ce qui contribuerait à l’incertitude quant au déroulement de ce cycle d’élections.
La question de savoir si les partis d’opposition peuvent tirer parti de ces défis et présenter des alternatives viables à l’ANC reste ouverte. Néanmoins, la dynamique générale est telle que l’Afrique du Sud s’oriente vers une certaine forme de politique de coalition au niveau national. Il s’agira d’un changement radical qui nécessitera de s’adapter au partage du pouvoir et au compromis.
Tout en s’adaptant, l’Afrique du Sud a l’avantage de disposer d’institutions démocratiques solides, capables de se prémunir contre les abus de pouvoir. La commission électorale indépendante est largement reconnue comme compétente et impartiale. Les tribunaux du pays rendent régulièrement des décisions qui limitent les excès du gouvernement. Le gouvernement dispose d’un protecteur public indépendant et actif qui peut enquêter et inculper les fonctionnaires pour abus de pouvoir. C’est ce bureau, amplifié par les médias indépendants, la société civile et l’engagement parlementaire de l’Afrique du Sud, qui a été à l’origine de la création de la Commission d’enquête judiciaire officielle sur les allégations de corruption de l’État pendant l’ère Zuma.
L’Afrique du Sud bénéficie également d’une armée apolitique et professionnelle qui s’est abstenue de s’engager dans des politiques partisanes.
La violence politique persistante, à savoir les assassinats de rivaux politiques, constitue une autre menace pour le renforcement de la démocratie sud-africaine. Cette tactique criminelle de conquête du pouvoir serait en train de s’intensifier dans certaines régions du pays. Souvent impunis, les assassinats politiques sont devenus normaux, ce qui, à son tour, intensifie la polarisation politique. Au cours de l’année écoulée, 20 assassinats politiques de conseillers municipaux ont été commis dans la province du KwaZulu-Natal, souvent dans le cadre de luttes intestines au sein de l’ANC et de ses ramifications.
Les élections en Afrique du Sud seront un test de la capacité du pays à utiliser les processus démocratiques pour forger de nouvelles alliances nationales afin d’engager le pays sur la voie de la réforme.
Les élections sud-africaines devront également tenir compte de la perspective d’une ingérence de la Russie dans les élections, conformément aux efforts déployés par cette dernière ailleurs sur le continent. La Russie s’emploie depuis longtemps à promouvoir la désinformation en Afrique du Sud afin de favoriser la polarisation et la désillusion à l’égard de la démocratie.
Les élections sud-africaines constituent une évaluation de la manière dont l’ANC aborde les défis sociaux et économiques en constante évolution auxquels le pays est confronté. Elles constitueront également un test de la capacité du pays à utiliser les processus démocratiques pour forger de nouvelles alliances nationales afin de relever ces défis et d’engager le pays sur la voie de la réforme.
Mauritanie
Élections présidentielles, 29 juin
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Le président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani se présente pour un second et dernier mandat de 5 ans aux élections présidentielles en Mauritanie.
La Mauritanie s’est engagée sur la voie d’une ouverture politique progressive depuis 2019.
La Mauritanie s’est engagée sur la voie d’une ouverture politique progressive depuis 2019, lorsque le président Mohamed Ould Abdel Aziz a respecté les limites de mandat et a quitté la présidence. Le départ du président Aziz a représenté le premier transfert de pouvoir pacifique dans l’histoire de la Mauritanie, un départ d’autant plus notable puisqu’il était arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 2008. Ghazouani, le dauphin choisi par Aziz et ancien chef d’état-major des forces armées, avait remporté l’élection de 2019 avec 52 % des voix.
La Mauritanie a une longue tradition de coups d’État militaires et de gouvernance autoritaire, qui s’est traduite par une série de gouvernements militaires ou soutenus par l’armée depuis 1978.
C’est à partir de ce seuil que la Mauritanie construit un système politique relativement plus pluraliste et plus redevable. Au-delà de l’élection présidentielle, il s’agira de savoir si ce pays de 4,5 millions d’habitants peut maintenir l’élan de la réforme. La clé sera la création de freins et contrepoids démocratiques suffisants pour garantir le maintien de ces paramètres (tels que le respect des limites des mandats), étant donné l’héritage d’un pouvoir exécutif illimité dans le pays.
Lors des élections législatives de mai 2023, auxquelles 25 partis avaient participé, le parti Insaf de Ghazouani a obtenu 107 des 176 sièges, le parti islamiste Tawassoul 11 et le parti Union pour la démocratie et le progrès 10. Une nouvelle coalition d’opposition, composée de groupes indépendants et de groupes de défense des droits humains, s’est organisée autour du parti Joud lors des législatives.
Un système de représentation proportionnelle basé sur des listes nationales, tribales et parlementaires, adopté avec la contribution des partis d’opposition en 2022, a augmenté la représentation des groupes minoritaires.
La Commission électorale nationale indépendante a été remaniée en 2022 et est désormais considérée comme plus impartiale. En 2023, l’Insaf et les principaux partis d’opposition se sont mis d’accord sur une charte d’entente nationale concernant les principes d’unité nationale et de gouvernance politique et économique. La plupart des partis politiques mauritaniens sont néanmoins faibles et n’ont pas la capacité organisationnelle ou les ressources nécessaires pour organiser des campagnes nationales.
Alors que la plupart des partis d’opposition n’ont pas encore désigné leurs porte-drapeaux, Biram Dah Abeid, un militant antiesclavagiste qui a été emprisonné pour ses activités de plaidoyer, est l’un des candidats probables à la présidence. M. Abeid est arrivé en deuxième position, avec 19 % des voix, lors de l’élection présidentielle de 2019. La Mauritanie n’a officiellement interdit l’esclavage qu’en 1981, ce qui en fait le dernier pays au monde à l’avoir fait, bien que la pratique persiste aujourd’hui.
L’environnement médiatique est relativement ouvert, bien que les critiques à l’encontre du parti au pouvoir puissent donner lieu à des harcèlements et à des arrestations.
La corruption a toujours été un problème en Mauritanie. Bien que des progrès minimes aient été réalisés ces dernières années, certains craignent que Ghazouani n’utilise les mesures de lutte contre la corruption pour s’en prendre à ses opposants politiques. Il s’agit notamment des accusations portées en 2021 contre l’ancien patron de Ghazouani, Ould Abdel Aziz, qui a été condamné à cinq ans de prison pour corruption en décembre 2023. Les tribunaux mauritaniens restent soumis à la pression du pouvoir exécutif.
La façon dont la Mauritanie gère son espace politique grandissant et le renforcement des institutions indépendantes constitueront des mesures clés à surveiller.
L’escalade de la violence des islamistes militants au Mali, qui s’étend vers l’ouest, constitue une menace croissante à la sécurité de la Mauritanie. Plusieurs incidents de sécurité ont eu lieu à la frontière en 2023, et la Mauritanie accueille actuellement plus de 100 000 réfugiés.
La Mauritanie a subi des menaces persistantes de la part d’organisations extrémistes violentes (OEV) dans les années 2000. Cependant, la Mauritanie est largement reconnue pour avoir mis en place une campagne efficace de lutte contre les OEV, impliquant un professionnalisme militaire accru, des capacités de renseignement et de surveillance renforcées et une action proactive de lutte contre la radicalisation au niveau communautaire. Ces efforts seront probablement testés en 2024.
Les investissements de BP et Kosmos Energy dans le gazoduc Greater Tortue Ahmeyim permettront à la Mauritanie d’approvisionner l’Europe et d’autres marchés mondiaux. La Mauritanie est également une cible d’investissement clé pour l’hydrogène vert, notamment de la part des Émirats arabes unis. Le vaste territoire de la Mauritanie et la disponibilité de l’énergie solaire et éolienne lui permettent de produire 8 millions de tonnes d’hydrogène vert par an, ce qui fait de la Mauritanie un centre énergétique de plus en plus important.
Au-delà de la conduite des élections, la façon dont la Mauritanie gère son espace politique grandissant et le renforcement des institutions indépendantes dont le système judiciaire et la commission électorale constitueront des mesures clés à surveiller en 2024.
Burkina Faso
Élections présidentielles, juillet (reportées)
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La junte militaire dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré a jugé les élections prévues en juillet 2024 pour rétablir un gouvernement civil démocratique au Burkina Faso « non prioritaires » et les a reportées indéfiniment en septembre 2023.
Le gouvernement démocratiquement élu du Président Roch Kaboré avait été renversé en janvier 2022 par une junte dirigée par le colonel Paul-Henri Damiba. En juillet 2022, cette junte avait convenu d’un calendrier de transition de 24 mois avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Mais en septembre de la même année, Traoré, âgé de 35 ans, a évincé Damiba et remplacé la constitution par une charte lui conférant des pouvoirs unilatéraux. Bien qu’il ait accepté de maintenir le calendrier de transition précédemment négocié, le refus de Traoré de procéder à la transition de juillet 2024 suggère son intention de se maintenir au pouvoir indéfiniment.
Ces prises de pouvoir anticonstitutionnelles ont sapé le processus politique démocratique naissant et durement acquis du Burkina Faso, où des manifestations de masse avaient en 2014 mis fin au règne de 27 ans de Blaise Compaoré (qui était lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État). L’élection de M. Kaboré en 2015 avait été de loin la plus compétitive jamais organisée au Burkina Faso et avait donné lieu à une série de réformes. Parmi ces progrès, on peut citer l’instauration d’une culture de professionnalisme militaire et l’adoption d’une stratégie de sécurité nationale.
L’instabilité politique provoquée par les interventions militaires a une longue histoire au Burkina Faso, l’armée ayant détenu le pouvoir directement ou indirectement pendant 51 des 64 années d’indépendance du pays, ce qui rend l’ouverture démocratique de 2014-2022 et son renversement d’autant plus significatifs.
Le report unilatéral et indéfini de l’élection de 2024 par la junte est conforme à la nature ad hoc imprédictible du régime de Traoré au Burkina Faso. Les lois sont appliquées de manière arbitraire et les décisions sont prises selon les caprices du chef de la junte.
Cela inclut la mobilisation « volontaire » de 50 000 forces de protection bénévoles. Cette mobilisation, autorisée par le décret d’urgence de Traoré, a été de plus en plus utilisée comme un moyen de conscription forcée, ciblant les journalistes, les membres des partis politiques et les critiques de la société civile à l’égard de la junte. Il s’agit notamment de Daouda Diallo, lauréat en 2022 du prestigieux prix international des droits humains Martin Ennals, qui a été enlevé à la fin de l’année 2023 à Ouagadougou. Son nom a ensuite été inscrit sur les listes de conscrits.
Le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) a déclaré que la mobilisation générale a été spécifiquement conçue et adoptée non pas pour contribuer à la lutte contre le terrorisme, mais pour réprimer les opinions critiques.
Ces actions punitives font partie d’une campagne plus large visant à réprimer les médias et la dissidence pacifique afin de maintenir l’apparence d’un soutien populaire à la junte. Les médias qui parlent de la détérioration de la sécurité dans le pays, des violations des droits humains ou de la dissidence au sein de l’armée sont suspendus. La junte déploie aussi des bandes itinérantes de milices de jeunes pour intimider physiquement tout signe de désaccord citoyen. Cela a eu pour effet de restreindre considérablement ce qui était devenu l’un des environnements médiatiques les plus ouverts d’Afrique de l’Ouest.
Malgré ces intimidations, la résistance des partis politiques d’opposition et de la société civile burkinabé, historiquement robuste, persiste. Au moins 15 groupes de la société civile et syndicats ont dénoncé collectivement le report des élections, bien que les manifestations aient été interdites. Alors que l’espace de dissidence est limité, le Burkina Faso se rend de plus en plus compte que la junte n’a pas l’intention de céder le pouvoir et que ce qui était perçu comme un processus de transition devrait en fait durer indéfiniment sur la trajectoire actuelle.
Malgré les intimidations de la junte, la résistance des partis politiques d’opposition et de la société civile burkinabé, historiquement robuste, persiste.
La recrudescence des violations des droits humains liées à l’armée est une autre illustration de l’absence de redevabilité de la junte. Une grande partie de ces actions vise les communautés perçues comme soutenant l’insurrection islamiste militante qui a débordé du Mali et s’est propagée au Burkina Faso. Il s’agit notamment d’un incident survenu dans le village de Karma en avril 2023, au cours duquel 156 villageois, dont des femmes et des enfants, auraient été massacrés par l’armée.
La sécurité s’est considérablement dégradée au Burkina Faso depuis les coups d’État. Le nombre d’événements violents impliquant des islamistes militants a doublé depuis 2022 et le nombre de morts a triplé (on estime à 5 000 le nombre de personnes tuées au Burkina Faso en 2023). L’instabilité a provoqué le déplacement de plus de 2,1 millions de Burkinabés (environ 10 % de la population). L’effet traumatisant de cette violence sur le psychisme de la population burkinabé est d’autant plus choquant que le Burkina Faso avait largement évité toute violence organisée significative depuis l’indépendance.
Les groupes islamistes militants responsables d’une grande partie de ces violences (Ansaroul Islam et l’État islamique dans le Grand Sahara) ont assiégé au moins 36 villes burkinabè et contrôlent plus de la moitié du pays, avançant inexorablement vers Ouagadougou. La violence des militants islamistes s’est également intensifiée le long des frontières méridionales du Burkina Faso avec les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest que sont le Bénin et le Togo.
Face à cette menace croissante à la sécurité, la junte militaire du Burkina Faso a dissous de manière incongrue les partenariats de sécurité dans la région (y compris avec le G5 Sahel et la CEDEAO) et au niveau international.
Le report par la junte de Traoré de la transition vers un gouvernement civil a de profondes répercussions sur la sécurité nationale et régionale. Sur le plan intérieur, ce report retarde le rétablissement d’une autorité légitime capable de mobiliser un effort crédible et soutenu de l’ensemble de la société nécessaire pour vaincre les groupes militants. Un gouvernement démocratique serait également mieux à même de mobiliser le soutien politique, financier et sécuritaire de la CEDEAO et des partenaires internationaux qui sera nécessaire pour vaincre une insurrection qui a pris une ampleur telle que les forces armées du Burkina Faso ne sont plus en mesure de l’affronter seules, même après que la junte a engagé plusieurs centaines de forces russes. Le report de la transition risque en outre d’entraîner une nouvelle escalade de la violence au Burkina Faso et de compromettre directement la sécurité de ses voisins méridionaux, le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Rwanda
Élections présidentielles et législatives, 15 juillet
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Les élections de 2024 au Rwanda devraient être un exercice électoral rigoureusement encadré. Le président Paul Kagame avait été déclaré vainqueur des élections de 2017 avec 99 % des voix et il est peu probable que les résultats varient beaucoup au cours de ce cycle. Des observateurs indépendants ont conclu que le processus électoral précédent avait été entaché de nombreuses irrégularités, notamment des actes d’intimidation politique, des pratiques d’enregistrement déloyales et des fraudes présumées le jour du scrutin.
Kagame dirige le Rwanda depuis 1994. Il est arrivé au pouvoir à la suite du génocide d’environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés. Il s’agirait du quatrième mandat officiel de M. Kagame, âgé de 66 ans. Une modification controversée de la Constitution en 2015 lui a permis de se soustraire à la limite de deux mandats de sept ans en vigueur et de briguer deux mandats supplémentaires de cinq ans, ce qui porterait à 40 ans la durée de son mandat au pouvoir. Ce contournement de la limitation du nombre de mandats fait partie d’une vague de contournement de la limitation du nombre de mandats en Afrique entamée en 2015 et qui a inversé une période de respect des normes en matière de limitation du nombre de mandats. Concrètement, Kagame est en mesure de rester président à vie.
Le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir a empêché les candidats sérieux de se présenter en recourant à l’intimidation, aux arrestations et aux actions judiciaires. Actuellement, le seul autre candidat en lice pour l’élection présidentielle de 2024 est Frank Habineza, du Parti vert démocratique du Rwanda. Il a obtenu moins d’un pour cent des suffrages exprimés lors des élections de 2017, et son parti détient 2 des 53 sièges de la chambre basse du Rwanda, la Chambre des députés.
Victoire Ingabire Umuhoza, l’une des plus féroces critiques de Kagame, souhaite aussi se présenter. Cependant, elle est inéligible en raison d’une arrestation antérieure pour « incitation au divisionnisme et conspiration contre le gouvernement », une accusation que la plupart des observateurs et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples considèrent comme étant motivée par des considérations politiques. Mme Ingabire a passé huit ans en prison, jusqu’à ce qu’elle bénéficie d’une grâce présidentielle en 2018.
Les Rwandais vivant à l’étranger s’abstiennent de tout activisme politique et vivent dans la crainte d’être attaqués ou que leurs proches encore au Rwanda le soient aussi.
Le Rwanda a acquis la réputation de ne pas se contenter d’intimider ses opposants nationaux, mais aussi de menacer ses détracteurs en exil, notamment par des attaques et des exécutions extrajudiciaires. Les Rwandais vivant à l’étranger pratiquent donc l’autocensure, s’abstiennent de tout activisme politique et vivent dans la crainte d’être attaqués, ou que leurs proches encore au Rwanda le soient aussi. Le gouvernement a fait de la « création d’une opinion internationale hostile » au gouvernement rwandais une infraction pénale.
Les médias au Rwanda sont étroitement contrôlés et ceux qui s’engagent dans des reportages indépendants font l’objet de poursuites pénales et d’intimidations. En 2018, les révisions du Code pénal ont criminalisé les caricatures et les écrits qui « humilient » les dirigeants rwandais. Alors que de plus en plus de journalistes rwandais s’exilent et tentent d’écrire depuis l’étranger, le gouvernement bloque de plus en plus l’accès aux services d’information et aux sites web à l’extérieur du pays.
Le pouvoir judiciaire manque d’indépendance dans la pratique. Les hauts fonctionnaires de la justice sont nommés par le président et approuvés par le Sénat dominé par le FPR.
L’armée reste l’une des institutions politiques les plus puissantes du pays et plusieurs chefs militaires ambitieux se disputent la succession de Kagame. C’est ce qui expliquerait la décision de Kagame de remanier la hiérarchie militaire et de mettre à la retraite 83 officiers supérieurs rwandais, dont 12 généraux, à la suite de la vague de coups d’État qui a frappé l’Afrique.
La politique étrangère rwandaise est avant tout axée sur le maintien de l’influence dans l’est de la RDC.
Les sécurocrates exercent une influence sur l’élaboration de la politique étrangère rwandaise. Il s’agit avant tout de maintenir une influence dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où le gouvernement rwandais entend empêcher les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), nationalistes hutus, de reprendre pied. Le Rwanda est depuis longtemps soupçonné de parrainer les rebelles du M23, une force déstabilisatrice clé dans l’est de la RDC. L’escalade de ce conflit, motivée par les rivalités entre les dirigeants du Rwanda, de la RDC et de l’Ouganda, menace d’entraîner la région des Grands Lacs dans une nouvelle guerre du Congo.
Ces dernières années, l’armée rwandaise a été un élément central de la politique étrangère du pays grâce à son déploiement dans les opérations de paix des Nations unies, pour lesquelles le Rwanda est le plus grand contributeur africain de troupes. Le Rwanda s’est également attiré le soutien de la région et de la communauté internationale en soutenant des opérations de contre-insurrection en République centrafricaine et au Mozambique, en échange d’honoraires et de contrats commerciaux.
Les élections de 2024 au Rwanda ne devraient donc pas réserver de surprises. Pourtant, il y a beaucoup à suivre au Rwanda, depuis les Grands Lacs jusqu’à l’ensemble du continent.
Algérie
Élections présidentielles, 7 septembre
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La sélection du président en Algérie s’annonce comme un événement électoral très encadré. Depuis des décennies, l’armée algérienne est l’acteur politique dominant dans ce pays d’Afrique du Nord stratégiquement important, assurant le maintien au pouvoir du Front de libération nationale (FLN). Le président Abdelmadjid Tebboune, un ancien premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika qui fut longtemps au pouvoir, représente la perpétuation de cette structure de pouvoir. Un nouveau mandat représenterait son deuxième et dernier mandat prévu par la Constitution.
Dans ce pays de 45 millions d’habitants, le pouvoir reste étroitement consolidé au sein de l’exécutif. Le président nomme un tiers de la chambre haute de la législature et peut poser son veto à toute loi, une majorité des trois quarts étant nécessaire pour passer outre. Par conséquent, seule la loi soutenue par le président peut être mise en œuvre. En tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, Tebboune nomme et révoque les juges. La présidence contrôle également tous les organismes de réglementation, y compris ceux chargés de superviser les dépenses publiques. L’exécutif contrôle donc effectivement les trois branches du gouvernement ainsi que la bureaucratie de l’État.
Le président nomme également tous les membres de la commission électorale, l’Autorité nationale indépendante pour les élections, qui est considérée comme favorable au parti au pouvoir.
L’environnement électoral est caractérisé par une suppression active des médias indépendants. Malgré une nouvelle loi sur la réforme des médias adoptée en 2023, d’éminents journalistes sont toujours emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement, sous l’accusation d’incitation aux manifestations et d’atteinte à l’unité nationale. Au cours des dernières années, cette situation a favorisé un climat de peur, de surveillance et d’autocensure qui a contribué à la fermeture de médias indépendants, notamment Liberté et Radio M.
L’armée algérienne a été l’acteur politique dominant pendant des décennies. Le président Tebboune représente la perpétuation de cette structure de pouvoir.
Malgré ces pressions, la demande de démocratie en Algérie reste forte. Des manifestations pacifiques de grande ampleur, qui durent depuis des mois et réclament des réformes politiques fondamentales telles que la liberté d’expression et de réunion, ont été rejointes par un groupe représentatif de laïcs, d’islamistes, de professionnels et de divers groupes ethniques, connu sous le nom de « manifestations du Hirak » de 2019. Si elles ont réussi à forcer Bouteflika, malade, à se retirer, l’armée a pu faciliter la transition vers Tebboune.
Avec l’arrivée du COVID, les manifestations ont été annulées. Alors que l’attention se déplaçait, le gouvernement a arrêté des dirigeants de l’opposition politique et de la société civile soupçonnés d’être à l’origine du mouvement de protestation. Ainsi, Mohamed Benhalima, un ancien officier de l’armée qui avait fui le pays en 2019 après avoir participé aux manifestations du Hirak, a ensuite été extradé d’Espagne vers l’Algérie. Benhalima avait dénoncé publiquement la corruption au sein de l’armée et a été condamné à 12 ans de prison pour une première série de trois chefs d’accusation. Il pourrait également être condamné à mort par un tribunal militaire pour « espionnage et désertion. »
En réaction à la gestion hermétique de l’environnement politique, de nombreux Algériens ont boycotté les élections présidentielles de décembre 2019, le référendum de 2020 et les élections législatives de 2021. En déclarant au lendemain des élections législatives—dont le taux de participation avait atteint leur niveau le plus bas, a 30 %—que le taux de participation n’est pas aussi important que les résultats, Tebboune a récapitulé le ton politique.
L’Algérie a été, en 1991, l’un des premiers pays d’Afrique du Nord à adopter le multipartisme avec la tenue d’élections nationales compétitives remportées par le Front islamique du salut (FIS). Mais, ne voulant pas tolérer ce résultat, l’armée a empêché le FIS de prendre ses fonctions, ce qui a déclenché la brutale guerre civile algérienne qui a fait, selon les estimations, entre 100 000 et 200 000 morts et a conduit à l’entrée en fonction du l’avènement du gouvernement Bouteflika en 1999.
L’Algérie est le deuxième producteur de pétrole d’Afrique, les hydrocarbures générant 60 % des revenus du gouvernement. Elle maintient trois routes principales pour transporter le pétrole et le gaz naturel vers l’Europe. Par ailleurs, l’Algérie dépend de la Russie pour plus de 70 % de ses importations d’armes.
Ces courants géostratégiques croisés et les demandes répétées pour une participation politique plus populaire mettent en évidence les tensions et le dynamisme actuels en Algérie, même s’ils ne sont qu’apparents en surface.
Tunisie
Élections présidentielles, 6 octobre
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La Tunisie est l’un des pays africains qui a connu le déclin le plus rapide de la gouvernance démocratique depuis son dernier cycle électoral, rivalisant avec les coups d’État militaires contre les gouvernements démocratiques en Afrique de l’Ouest. La dissolution du Parlement par le président Kaïs Saïed en 2021, suivie d’une gouvernance par décret présidentiel, peut en fait être décrite comme un autocoup d’État (le démantèlement des institutions démocratiques par un dirigeant élu).
Lors de sa candidature en 2019, l’ancien juriste et chercheur s’était présenté comme un candidat indépendant, non affilié à un parti politique. Saïed l’avait emporté au second tour, ce qui lui avait conféré une légitimité et démontré la maturité croissante de la démocratie tunisienne, tout en facilitant une transition ininterrompue du pouvoir du parti Nidaa Tounes.
Les tentatives de restauration de la démocratie seront au cœur des élections en Tunisie.
Puisqu’il s’était présenté en candidat indépendant, Saïed a été contraint de travailler avec un parlement contrôlé par les partis d’opposition. Ennahda, l’un des principaux acteurs de la réforme en Tunisie depuis l’éviction du dirigeant dictatorial Zine el Abidine Ben Ali en 201, avait remporté plus de sièges que n’importe quel autre parti. En tant que représentants élus par le peuple, ces partis parlementaires avaient également acquis la légitimité nécessaire pour diriger la nation.
De fait, la Constitution tunisienne de 2014 avait créé un système semi-présidentiel dans lequel le parlement élit le premier ministre, qui choisit ensuite les ministres et dirige le gouvernement. Le président est le chef de l’État. Cet accord était une réponse directe aux excès et à l’impunité de l’exécutif qui avaient caractérisé les 24 années de règne de Ben Ali.
Frustré par cet accord de partage du pouvoir, le 25 juillet 2021, Saïed déclare l’état d’urgence, déploie des chars d’assaut devant le Parlement et le suspend de ses fonctions. Il limoge aussi le Premier ministre Hichem Mechichi, prend le contrôle des fonctions du gouvernement et de l’État, en violation directe de la Constitution, et commence à gouverner par décret. En octobre 2021, Saïed nomme une nouvelle Première ministre, Najla Bouden, sans l’approbation du Parlement et responsable devant lui seul. Saïed a par la suite limogé Bouden et son successeur, soulignant la manière dont il concentre le pouvoir entre ses propres mains.
Depuis qu’il a suspendu le parlement, Saïed mène des attaques systématiques et continues contre toutes les institutions démocratiques tunisiennes acquises de hautes luttes. Son approche consiste apparemment à dissoudre toutes les institutions qui servent de contrepoids à son pouvoir.
Lorsqu’une majorité de députés convoque une réunion en ligne en mars 2022 (pendant le COVID) pour voter sur la légalité des mesures d’urgence de Saïed, ce dernier dissous officiellement le Parlement.
Reconnaissant que la Constitution était un obstacle à son style de gouvernance, Saïed la suspend en septembre 2021. Il supervise la rédaction d’une nouvelle constitution en 2022 qui recrée un système présidentiel unitaire, le président faisant office de chef d’État et du gouvernement. Estimant que les actions de Saïed illégales et illégitimes, les partis d’opposition boycottent le référendum constitutionnel, dont le taux de participation n’atteint que 31 %. Les élections législatives qui ont suivi, et que l’opposition a de nouveau boycottées, permettent à Saïed d’obtenir le parlement croupion qu’il recherchait.
En février 2022, Saïed dissous le Conseil supérieur de la magistrature et le remplacé par un organe qu’il nomme lui-même. En juin, il publie un décret permettant au président de révoquer et de nommer unilatéralement des magistrats, un pouvoir codifié par que la constitution controversée de 2022.
Avant le référendum constitutionnel, Saïed avait remplacé le comité exécutif de la respectée Haute autorité indépendante pour les élections. Le scrutin référendaire a ensuite été marqué par un manque de transparence, des erreurs de calcul et l’impossibilité pour les opposants au référendum de faire campagne librement.
Ne se sentant pas obligé de démontrer la transparence ou l’équité des prochaines élections, Saïed a déjà interdit aux observateurs électoraux internationaux de les surveiller.
Lorsque les médias, la société civile ou les chefs d’entreprise critiquent le gouvernement, ils sont accusés de « comploter contre la sécurité de l’État » ou d’être des « terroristes » et sont arrêtés. Saïed a ainsi politisé les acteurs de la sécurité de l’État qui exécutent effectivement son programme politique contre ses rivaux domestiques. Il renverse donc aussi une autre réforme clé de la période post-Ben Ali, à savoir la création d’une armée plus apolitique et plus professionnelle.
Kaïs Saïed mène des attaques systématiques et continues contre toutes les institutions démocratiques tunisiennes acquises de hautes luttes.
En novembre 2023, le Parlement de Saïed a présenté un projet de loi visant à restreindre sévèrement la société civile dans le but de limiter davantage l’espace démocratique.
Saïed s’est montré particulièrement dédaigneux envers les dirigeants politiques dissidents. En dissolvant le Parlement, il a révoqué l’immunité juridique des parlementaires et des dizaines d’entre eux ont été emprisonnés, pour certains à l’issue de procès militaires. Rached Ghannouchi, 81 ans, le dirigeant d’Ennahda et président démocratiquement élu du Parlement dissous, a notamment été arrêté à son domicile par 100 policiers en avril 2023 pour avoir tenu des propos critiques à l’égard du gouvernement.
Des mandats d’arrêt internationaux ont été émis à l’encontre d’opposants présumés vivant en exil. On peut également citer Nadia Akacha, une ancienne proche confidente de Saïed qui a occupé le poste de directrice de son bureau jusqu’à sa démission en 2022, date à laquelle elle s’est installée en France. Des vidéos divulguées ont par la suite révélé qu’elle avait vivement critiqué Saïed, ce qui a vraisemblablement provoqué l’émission du mandat d’arrêt.
Les attaques contre les partis politiques rivaux se sont accélérées en 2023, avec des raids contre les sièges d’Ennahda et du Front du salut national. Les deux partis ont également été interdits de tenir des réunions. Seules deux candidatures de l’opposition, celles d’Ayachi Zammel et de Zouhair Maghzaou, ont été validées pour l’élection présidentielle. Ce dernier est un allié proche de Saïed. Le premier a été arrêté en septembre 2024, quelques semaines seulement avant le scrutin. Quatorze autres candidats ont été empêchés de se présenter et plusieurs emprisonnés. Afin de s’assurer d’un résultat favorable, le Parlement, acquis à la présidence, a passé une loi, quelques jours avant l’élection, qui permet à la Cour d’Appel (elle aussi perçue comme sous la botte de Saïed) de se prononcer sur tout contentieux électoral.
L’ampleur et le caractère systématique du démantèlement des institutions démocratiques sont remarquables. À l’instar d’autres coups d’État, les actions de Saïed ne forment pas une aberration ponctuelle, mais plutôt un effort délibéré pour consolider le pouvoir. Bien qu’ils ne soient pas aussi évidents qu’un coup d’État militaire, et ne suscitent donc pas la même condamnation régionale et internationale, leurs effets sont comparables. Si le coup d’État était reconnu en tant que tel, des règles similaires pourraient s’appliquer.
Le cas de la Tunisie revêt une importance régionale, car elle avait servi de modèle de progrès démocratique en Afrique du Nord, où les hommes forts étaient la norme. Saïed a bénéficié du soutien politique de la Russie et des États du Golfe, ainsi que de campagnes de désinformation visant à étouffer un modèle démocratique réussi susceptible de gagner du terrain ailleurs dans la région.
C’est dans ce contexte que se tiendront les élections de 2024. Alors que la répression de la dissidence par Saïed a eu pour effet de refroidir le débat public ou la critique, les dirigeants des partis d’opposition et de la société civile continuent de s’exprimer, d’organiser des manifestations contre le coup de force de Saïed et d’exiger la libération de tous les prisonniers politiques. Les partis d’opposition collaborent également de plus en plus étroitement dans le but de participer au scrutin dans le cadre d’un processus qui ne sera certainement ni libre ni équitable.
Les tentatives de restauration de la démocratie seront au cœur des élections en Tunisie. Cette situation s’accompagnera de difficultés économiques croissantes. L’économie tunisienne stagne, le taux de chômage est de 15 % et l’inflation tourne autour de 10 %, les prix des denrées alimentaires ayant grimpé en flèche pendant une grande partie de l’année. De nombreux Tunisiens cherchent à quitter le pays. Confrontée à une dette croissante, la Tunisie négocie avec le Fonds monétaire international un prêt d’urgence.
Ces progrès resteront fragiles tant que l’équilibre des pouvoirs ne sera pas suffisamment fort pour résister à la détermination d’un acteur exécutif à consolider son pouvoir.
Saïed a également tenté de faire des migrants africains un bouc émissaire pour les maux du pays. Ils les caractérise de manière déshumanisantes, déclenchant une violence généralisée à leur encontre. De même, le gouvernement a intensifié les fouilles et les détentions de migrants africains. Ils emmènent parfois les migrants dans des zones isolées du désert le long de la frontière libyenne et les y abandonnent.
L’environnement politique tunisien est beaucoup plus restreint qu’il ne l’était lors des élections de 2019. Cette situation est riche d’enseignements pour d’autres partenaires démocratiques africains et internationaux. Gagner en légitimité n’est pas un chèque en blanc. La légitimité n’est pas non plus statique.
La mise en place d’institutions démocratiques nécessite un travail politique difficile de compromis, de partage du pouvoir, de création de normes et de bonne volonté de la part de nombreux acteurs. Cependant, ces progrès resteront fragiles tant que cet équilibre des pouvoirs ne sera pas suffisamment fort pour résister à la détermination d’un acteur exécutif à consolider son pouvoir.
Mozambique
Élections présidentielles et législatives, 9 octobre
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Les élections présidentielles et législatives de 2024 au Mozambique se définissent par le sentiment croissant d’avoir droit et d’impunité du parti au pouvoir, le Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO).
Les élections municipales d’octobre 2023 donnent un aperçu de ce qui pourrait se produire. La Commission électorale nationale a déclaré que le FRELIMO avait remporté 64 des 65 scrutins, balayant même des zones connues pour être des bastions du parti Resistência Nacional Moçambicana (RENAMO). Des décomptes parallèles effectués par un consortium d’observateurs électoraux indépendants, dirigé par l’Église catholique, ont cependant montré que le RENAMO avait remporté une poignée de municipalités, dont Maputo, pour la première fois.
Les manifestations dans les bastions du RENAMO ont fait l’objet d’une réponse policière musclée qui a fait au moins quatre morts. La police a fait une descente au siège du RENAMO à Maputo, arrêtant des dizaines de partisans.
L’ancien candidat RENAMO à la mairie de Maputo, Venâcino Mondlane, se présentera en candidat indépendant après que la Cour Constitutionnelle a retiré en août dernier l’inscription de son parti, l’Alliance pour la coalition démocratique. Mondlane est populaire parmi les jeunes et est largement considéré comme ayant gagné la dernière élection à la mairie de Maputo, du moins selon le décompte parallèle des voix qui avait été effectué. Enfin, Lutero Simango sera le porte-étendard du parti MDM et mène campagne sur une plateforme qui promeut le développement.
Le recours du RENAMO aux tribunaux a abouti à l’annulation de certains résultats électoraux par une douzaine de tribunaux de district et à la demande d’un recomptage des voix ou d’un nouveau scrutin pour d’autres. Toutefois, ces jugements ont été annulés par le Conseil constitutionnel nommé par le FRELIMO, qui a jugé que les juridictions inférieures n’étaient pas compétentes pour annuler ou ordonner le recomptage des voix. Finalement, le Conseil constitutionnel a déterminé que le FRELIMO avait remporté 56 municipalités, que le RENAMO en avait remporté 4 (contre 8 auparavant) et que le parti Movimento Democrático de Moçambique (MDM) en avait remporté 1. Un nouveau scrutin devait être organisé dans quatre autres municipalités.
Le système multipartite du Mozambique n’est de plus en plus que de nom.
Les élections municipales montrent que le système multipartite du Mozambique n’est de plus en plus que de nom. Le FRELIMO a manifestement calculé qu’il pouvait procéder à des manipulations électorales flagrantes avec peu de répercussions de la part de ses partenaires nationaux ou internationaux.
Les élections présidentielles de 2019 avaient également été marquées par des rapports crédibles faisant état de bourrage d’urnes, d’intimidation d’observateurs électoraux, de graves divergences dans les listes électorales et d’irrégularités dans la tabulation. La Commission électorale nationale avait déclaré le président Filipe Nyusi vainqueur avec un score improbable de 73 % des voix. La société civile et les observateurs internationaux avaient qualifié ces élections des moins équitables depuis le retour à des élections multipartites en 1994. Une mission de suivi des élections de l’Union européenne en 2022 avait constaté que la mise en œuvre des 20 recommandations émises à la suite des élections problématiques de 2019 n’avait guère progressé.
Les élections législatives de 2019 ont permis au FRELIMO d’accroître sa majorité à l’Assemblée de la République, qui compte 250 sièges, de 144 à 184 sièges, aux dépens du RENAMO et du MDM. Le FRELIMO a de même obtenu l’ensemble des 10 gouverneurs de province.
Tel est l’environnement politique dans lequel se dérouleront les élections de 2024.
Le FRELIMO domine la politique mozambicaine depuis le retour des élections multipartites en 1994, après une guerre civile dévastatrice de 15 ans avec le RENAMO, qui a fait environ 1 million de morts.
Lors des élections de 1994 et 1999, après que le RENAMO s’est transformée en parti politique, il a obtenu 45% et 47 % des sièges parlementaires respectivement, avant de voir ce chiffre chuter à 20 % en 2009. Le RENAMO a accusé le FRELIMO d’avoir manipulé les résultats des élections, ce qui a déclenché un conflit de faible intensité entre 2011 et 2016, qui n’a pris fin qu’après un nouvel accord de paix en 2019.
L’effronterie du FRELIMO à obtenir des résultats électoraux déséquilibrés reflète apparemment son sentiment d’avoir le droit de gouverner le Mozambique à perpétuité. Il s’agit d’une attitude observée par d’autres partis de libération en Afrique australe et orientale, qui s’est manifestée lors des récentes élections au Zimbabwe et en Ouganda. Elle renforce également les efforts visant à normaliser les systèmes de partis dominants en Afrique, sur le modèle du parti communiste chinois.
L’absence d’un système multipartite compétitif élimine un élément central de l’autocorrection démocratique. Elle favorise également un sentiment d’impunité de la part du FRELIMO, développé après des années de contrôle des principales institutions de l’État, qui lui permet de faire ce qu’il veut sans grand risque de perdre le pouvoir. Cela a contribué à la sous-performance persistante du Mozambique au cours des dernières années.
Les Mozambicains ont vu leur produit intérieur brut (PIB) par habitant stagner au cours de la dernière décennie, malgré les revenus abondants tirés des ressources naturelles. L’économie a été entravée par la persistance d’une corruption de haut niveau dont le scandale des « obligations thon », d’une valeur de 2 milliards de dollars et qui a conduit le Mozambique à un défaut de paiement de sa dette souveraine, est la preuve la plus évidente. On estime que la fraude a coûté au pays 11 milliards de dollars, soit l’équivalent de son PIB annuel.
Cette sous-performance et ce manque de responsabilité se retrouvent également dans l’incapacité du Mozambique à assurer la sécurité de ses citoyens face à l’insurrection islamiste militante qui a balayé le Cabo Delgado en 2017. Cette menace a finalement nécessité l’intervention de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) et des forces rwandaises. Les forces mozambicaines à Cabo Delgado sont confrontées à une grande méfiance et à une réputation d’enlèvement contre rançon, d’extorsion et de vol de biens.
Le modèle du parti dominant favorise une volonté politique limitée de poursuivre les réformes.
Le modèle du parti dominant favorise une volonté politique limitée de poursuivre les réformes visant à améliorer les moyens de subsistance des citoyens. Cette situation est amplifiée par le contrôle des médias publics par les partis, ce qui occulte l’analyse objective des politiques. La liberté de la presse au Mozambique s’est dégradée ces dernières années. Les journalistes d’investigation qui s’obstinent à dénoncer la corruption sont intimidés, détenus et certains subissent une mort prématurée. L’absence de médias dynamiques réduit à néant le rôle éducatif et galvanisant que la presse peut jouer dans la poursuite des réformes.
Un modèle de gouvernance qui prive systématiquement les citoyens de leurs droits tout en leur laissant peu de recours juridiques ne peut qu’accroître les perspectives d’instabilité, avec des effets dévastateurs pour le pays et des implications à long terme pour la région.
Malgré ce terrain de jeu inégal, le RENAMO compte participer aux élections présidentielles et législatives de 2024 dans l’ensemble du pays. Son porte-étendard sera Ossufo Momade, qui dirige le parti depuis 2018 après le décès du dirigeant de longue date du RENAMO, Afonso Dhlakama. Momande était un général du RENAMO pendant la guerre civile et s’était présenté à la dernière élection présidentielle. Il avait abuse signé l’accord de paix de 2019.
Le 6 mai 2024, le FRELIMO a annoncé que Daniel Chapo serait son candidat pour l’élection présidentielle. Chapo, un ancien animateur de radio est actuellement le gouverneur de la province de Inhambane, dans le sud du Mozambique. Il y avait été élu par 94 % des voix avant de devenir le candidat du parti dans les prochaines élections. Né en 1977, Chapo fait partie d’une nouvelle génération de dirigeants du FRELIMO et est le premier candidat du parti né après l’indépendance du Mozambique en 1975. L’annonce met fin aux rumeurs selon lesquelles le président Nyusi se présenterait pour un troisième mandat. Il y aurait soi-disant sérieusement réfléchi, même si une limite de mandat aurait dû l’y empêcher.
À bien des égards, les efforts des acteurs de la société civile qui continuent à défendre les réformes pour l’intégrité électorale, l’indépendance des médias et la transparence des finances publiques, seront plus importants que ceux des candidats. Étant donné que les règles du jeu électoral sont très inégales, leur taux de progression pourrait être le baromètre le plus révélateur pour les élections de 2024 au Mozambique. En tant qu’une des institutions les plus respectées du pays, l’Église catholique continuera à jouer un rôle essentiel en tant que conscience morale et source de redevabilité pour les fonctionnaires. Une fois de plus, ses efforts parallèles de totalisation des votes seront indispensables pour discerner les véritables préférences des électeurs, faisant de la crédibilité le mot-clé à surveiller lors de ces élections.
Botswana
Élections générales, 30 octobre
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L’une des démocraties multipartites les plus stables et plus durables d’Afrique, le Bostwana tiendra, en 2024, sa 13eme élection générale depuis son indépendance.
Longtemps considéré comme l’une des démocraties multipartites les plus stables et les plus anciennes d’Afrique, le Botswana s’apprête en octobre à organiser des élections générales. Le président du Botswana est élu indirectement par l’Assemblée nationale pour un maximum de deux mandats de 5 ans.
La compétitivité accrue renforce le système multipartite du pays.
Quatre dirigeants du Botswana se sont engagés à quitter le pouvoir à l’issue de leur mandat constitutionnel, à commencer par Ketumile Masire, qui a succédé à Seretse Khama lors de son décès en tant que premier président du Botswana. Cette impressionnante tradition de succession distingue le Botswana de nombreux autres pays du continent.
L’indépendance judiciaire du Botswana est également remarquable : les juges ont statué contre le gouvernement dans plusieurs affaires très médiatisées.
Le président Mokgweetsi Masisi sera candidat à sa réélection en tant que porte-drapeau du parti démocratique du Botswana (BDP) au pouvoir. Malgré les solides références démocratiques du Botswana, le BDP détient la majorité parlementaire depuis le premier scrutin d’apres l’indépendance en 1969.
La coalition d’opposition Umbrella for Democratic Change (UDC), formée dans la perspective des élections de 2019 et dirigée par Duma Boko, représente le défi le plus fort à ce jour pour le BDP, resté longtemps au pouvoir. L’opposition historiquement fragmentée et faible du Botswana a connu un regain de confiance depuis sa victoire aux élections partielles de 2022. L’une des propositions de l’UDC consiste à mettre en place un régime national d’assurance maladie qui fera de l’accès à des soins de santé de qualité une priorité. Dumelang Saleshando, du Botswana Congress Party (BCP), qui s’est coupé de l’UDC l’année dernière, et Mephato Reatile du Botswana Patriotic Front (BPF), complètent la liste des candidats à la presidentielle de 2024.
Le soutien du BDP a été affecté par une querelle personnelle entre Masisi et son prédécesseur, l’ancien président Ian Khama. En septembre, Khama est rentré de trois ans d’exil en Afrique du Sud pour faire à des accusations de détournement de fonds et de de possession d’armes à feu. Une série de revirements politiques et de changements de personnel sous le gouvernement de Masisi ont incité Khama à soutenir le Front patriotique du Botswana, parti d’opposition, afin de renverser le président actuel.
Le mandat de Masisi a été marqué par des résultats mitigés. Le taux élevé de chômage des jeunes et la détérioration des infrastructures publiques ont suscité une attention accrue de la part du public. Toutefois, la liberté de la presse s’est considérablement améliorée pendant le mandat de Masisi, alors que l’espace médiatique s’était détérioré sous Khama. L’adoption du projet de loi sur l’association des professionnels des médias en 2022 a constitué une étape importante vers le renforcement de l’indépendance des médias que les défenseurs de la liberté de la presse recherchaient depuis longtemps, même si certains ont exprimé des inquiétudes quant à la création d’un registre officiel pour les journalistes.
Quel que soit le parti qui sortira vainqueur des élections au Botswana, la compétitivité accrue renforce le système multipartite du pays. Elle incite tous les partis à proposer des politiques novatrices qui répondent aux intérêts de la population et à remettre en question les attitudes d’avoir droit qui peuvent s’installer dans les systèmes de partis dominants.
Maurice
Élections générales, 10 novembre
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Les Mauriciens se rendront aux urnes le 10 novembre pour leur 12e élection générale depuis l’indépendance. En tant que dirigeants de l’Alliance Lepep, le mouvement socialiste militant (MSM) au pouvoir cherche à conserver sa majorité et à offrir au Premier ministre Pravind Kumar Jugnauth un nouveau quinquennat.
L’Alliance Lepep, qui comprend le Parti travailliste et le Mouvement militant de l’île Maurice, sont les principaux partis qui se disputent les 70 sièges de l’Assemblée nationale dans le cadre de la démocratie parlementaire mauricienne. Le pouvoir a alterné entre les trois principaux partis au fil des ans, bien que le MSM ait remporté les deux dernières élections et dirige donc le gouvernement depuis 2009.
L’île Maurice est considérée comme l’une des démocraties les plus solides d’Afrique.
L’île Maurice est considérée comme l’une des démocraties les plus solides et stables d’Afrique. Près de 90 % des Mauriciens ont voté lors des élections générales de 2019. L’île Maurice possède aussi l’un des environnements médiatiques les plus ouverts du continent. Des accusations d’écoutes électroniques ont surgi dans les semaines précédant le scrutin, suite à la fuite d’enregistrements de conversations téléphoniques de membres de l’opposition datant de 2019. Le gouvernement a par la suite bloqué les réseaux sociaux à l’approche du scrutin, introduisant un scandale imprévu au vote.
Les solides références de l’île Maurice en matière de gouvernance en ont fait une destination populaire pour les investissements financiers et le tourisme. Cela s’est traduit par des soins de santé de qualité, des possibilités d’éducation accrues et une augmentation de 22 % du revenu par habitant au cours de la dernière décennie. Les partis s’affrontent donc sur la manière de mieux fournir des services à leurs électeurs.
Alors même que l’opposition a fait campagne sur la base de l’augmentation des prix, l’économie, y compris l’important secteur du tourisme, a bien rebondi depuis la pandémie. Le chômage des jeunes a considérablement baissé cette année, ce qui permettra surement au MSM de conserver ses importants soutiens dans les parties rurales du pays.
La politique est dominée par deux dynasties familiales : les Ramgoolam (liés au parti travailliste) et les Jugnauth (liés au MSM). Cela a donné lieu à accusations de népotisme, comme lorsque Pravind Jugnauth a succédé à son père au poste de premier ministre au milieu de son mandat en 2017, avant de mener le MSM à la victoire lors des élections de 2019.
La Commission des circonscriptions électorales jouit de la confiance d’une forte majorité de Mauriciens et d’une réputation d’impartialité. L’élection de 2019 a connu des cas isolés d’irrégularités, comme des citoyens qui n’ont pas pu voter parce que leur nom ne figurait pas sur les listes électorales, ce qui a donné lieu à des contestations devant les tribunaux. Dans son rapport d’observation des élections, l’Union africaine a formulé des recommandations, notamment la réforme de la loi sur le financement des partis politiques et des candidats, l’adoption de lois visant à accroître le nombre de femmes candidates, l’augmentation de la participation de la société civile aux élections et la mise à jour des procédures de dépouillement des bulletins de vote. L’EBC fera l’objet d’un examen plus approfondi afin d’améliorer l’administration des élections de 2024.
Bien que l’île Maurice soit relativement bien classée dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International, certains s’inquiètent de l’augmentation de la corruption au cours de ces dernières années. Les menaces des réseaux criminels organisés et du blanchiment d’argent se sont également accrues à mesure que le secteur des services financiers est devenu plus important dans l’économie mauricienne. En réponse, le gouvernement a renforcé sa capacité à traquer les activités financières illicites et la Banque de l’île Maurice a lancé une cellule de renseignement sur les marchés pour surveiller le secteur financier et détecter les transactions irrégulières ou suspectes.
L’île Maurice aborde les élections de 2024 sur des bases solides. La poursuite des progrès au cours de ces scrutins sera essentielle pour que l’île Maurice conserve sa réputation de démocratie responsable et compétente.
Somaliland
Élections présidentielles et législatives, 13 novembre
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L’État autoproclamé du Somaliland devrait tenir en novembre une élection présidentielle longtemps retardée. Le président Muse Bihi Abdi se présentera pour un second mandat de cinq ans, clôturant ainsi une période de grande incertitude pour les 4,5 millions d’habitants du Somaliland.
Malgré l’absence de reconnaissance internationale, le Somaliland a réalisé d’importants progrès dans la création de l’un des systèmes démocratiques multipartites les plus inclusifs d’Afrique de l’Est depuis qu’il a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991. Il s’agira de la troisième élection présidentielle au suffrage universel au Somaliland. Les élections précédentes ont donné lieu à des transitions de pouvoir entre les partis.
Le Somaliland a réalisé d’importantes avancées vers la création de l’un des systèmes démocratiques multipartites les plus inclusifs d’Afrique de l’Est.
L’élection présidentielle de 2024 s’appuiera sur le succès des élections serrées de la chambre basse et des conseils locaux de mai 2021, au cours desquelles le parti au pouvoir « Kulmiye Peace, Unity and Development Party » a remporté moins de sièges que l’alliance de l’opposition composée du « Waddani National » Party et du « Justice Welfare Party ».
La trajectoire démocratique du Somaliland n’a toutefois pas sans difficultés au cours des dernières années. Le premier mandat du président aurait dû se terminer en 2022. Les partis d’opposition ont accusé le président Bihi d’essayer de retarder cette élection pour rester au pouvoir au-delà de son mandat. M. Bihi a justifié ce report par des questions relatives au calendrier et à l’enchaînement des élections des partis par rapport aux élections présidentielles. Après plusieurs tentatives de médiation infructueuses entre le gouvernement et l’opposition, la Chambre des anciens (connue sous le nom de Guurti) a prolongé le mandat du président de deux ans et celui de la chambre de cinq ans.
Les manifestations contre le report de l’élection présidentielle de 2022 et la répression violente des forces de sécurité, qui a fait 5 morts et des centaines de blessés, ont mis en péril la réputation durement acquise du Somaliland en matière de compromis politique et de stabilité. Au cours des trois dernières décennies, le Somaliland a cultivé un héritage de recherche de consensus et de médiation des conflits au niveau local qui lui a permis de résoudre plusieurs conflits liés aux élections dans le passé.
Au début de l’année 2024, le Guurti a adopté une nouvelle loi électorale qui autorise pour la première fois la tenue simultanée d’élections présidentielles et de partis politiques, fixant la date des élections au 13 novembre 2024. Les partis d’opposition ont approuvé la nouvelle loi électorale, la considérant comme une étape cruciale vers des conditions équitables pour les prochaines élections présidentielles.
L’héritage du Somaliland en matière de résolution pacifique des conflits entre clans a également été menacé par la répression musclée, par le gouvernement Bihi, des manifestants remettant en cause l’autorité du Somaliland dans la ville de Las Anod, dans la région de Sool, frontalière du Puntland. Cet incident a entraîné la mort d’environ 20 manifestants en décembre 2022. En février 2023, les chefs de clans locaux Dhulbahante ont annoncé leur intention de former un État fédéral sous l’égide de la Somalie, appelé SSC-Khaatumo ; ce qui a encore intensifié les combats à Las Anod et dans ses environs. Les affrontements avec les autorités du Somaliland se poursuivent dans le Sool, faisant des centaines de morts et provoquant le déplacement d’environ 185 000 personnes.
L’héritage du Somaliland en matière de résolution pacifique des conflits entre clans a été menacé par la répression musclée des manifestants par le gouvernement Bihi.
Le Somaliland s’est distingué au fil des ans en empêchant les groupes islamistes militants, comme Al Shabaab, de s’implanter sur son territoire. Les observateurs s’inquiètent du fait que l’usage de la force à Sool pourrait permettre à Al Shabaab et à l’État islamique en Somalie, tous deux bien implantés au Puntland, de pénétrer dans la région. Compte tenu de sa situation stratégique sur la mer Rouge, la stabilité du Somaliland a des répercussions sur la sécurité régionale.
Sous le régime Bihi, les journalistes ont parfois fait l’objet d’arrestations arbitraires et de menaces pour des propos médiatiques critiques. Le gouvernement a en outre limité l’enregistrement de nouveaux journaux.
L’accord conclu par le Somaliland au début de l’année 2024 pour accorder à l’Éthiopie, pays enclavé, un bail de 50 ans sur le port de Berbera a des répercussions considérables sur l’avenir politique et économique du Somaliland. Cette décision a été dénoncée par le gouvernement somalien, qui revendique toujours la souveraineté sur le Somaliland. Cette question risque de dominer le discours sur le Somaliland au cours de cette année électorale.
Alors que le Somaliland retournera aux élections en 2024, il doit continuer à renforcer les processus politiques et sécuritaires inclusifs qui l’ont distingué au fil des décennies pour pouvoir récolter les fruits de ces efforts.
Namibie
Élections présidentielles, 27 novembre
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L’une des élections les plus intrigantes du continent en 2024 aura lieu en Namibie. Le pays élira un nouveau président après la mort du président en exercice Hage Geingob, qui devait se retirer à l’issue du deuxième et dernier mandat constitutionnel.
Le porte-drapeau de la South West Africa People’s Organization (SWAPO) sera la vice-présidente Netumbo Nandi-Ndaitwah, qui, qui sera la première femme candidate du parti à la présidence.
Les résultats compétitifs reflètent l’évolution naturelle d’un système multipartite sain.
Le principal prétendant devrait être Panduleni Itula, qui a obtenu 30 % des voix lors de l’élection de 2019, le résultat le plus élevé de l’opposition lors d’une élection présidentielle. Il dirige le parti Independent Patriots for Change (patriotes indépendants pour le changement). Job Amupanda (le leader du Affirmative Repositioning) et Ally Angula, un candidat indépendant soutenu par trois partis qui ne sont pas représentés au parlement, sont aussi des concurrents importants.
Notamment, trois des six candidats susceptibles de recueillir le plus grand nombre de voix sont des femmes.
Bien que la SWAPO ait remporté toutes les élections présidentielles précédentes, ses marges de victoire ont diminué. En 2019, M. Geingob l’a emporté avec 56 % des voix. Ce chiffre est à comparer aux 76 % qu’il avait obtenus lors de sa première candidature en 2015. Si aucun candidat n’atteint le seuil des 50 % au premier tour, un second sera organisé avec les deux candidats arrivés premiers. Puisque les élections législatives ont également lieu en novembre, la Namibie, pourrait pour la première fois faire face à un gouvernement divisé, avec des partis différents obtenant la présidence et la majorité à l’Assemblée nationale
La SWAPO a également vu son nombre de voix diminuer lors des élections provinciales et législatives, où le parti est passé en dessous de sa majorité des deux tiers, et les partis d’opposition contrôlent désormais les trois centres économiques les plus importants, Windhoek, Walvis Bay et Swakopmund.
Bien que l’on pense généralement que cette tendance reflète la baisse de popularité de la SWAPO et les préoccupations liées à l’augmentation du mécénat, ces résultats plus compétitifs reflètent également l’évolution naturelle d’un système multipartite sain. Les partis d’opposition namibiens, dont beaucoup sont issus de la SWAPO, restent relativement faibles et sous-financés. Néanmoins, ils ont renforcé leurs capacités et leur portée organisationnelles. En outre, la politique évolue, avec une part croissante d’électeurs urbains et de ceux qui sont « nés libres » (c’est-à-dire après l’indépendance en 1990). Leur attitude à l’égard de la SWAPO et de ses mérites en matière de libération est naturellement différente de celle des générations plus anciennes.
Le système multipartite de plus en plus compétitif de la Namibie offre une opportunité d’innovation et d’autocorrection démocratique, en incitant tous les partis à faire preuve d’agilité et de réactivité publique. Ces évolutions peuvent aider la Namibie à éviter la perception d’avoir droit, la sclérose et la corruption qui peuvent devenir endémiques dans les systèmes de partis dominants enracinés.
Les élections en Namibie sont également remarquables pour leur ouverture et leur intégrité. L’environnement électoral favorise la liberté de réunion et d’expression pour tous les partis. Ce processus est supervisé par la Commission électorale de Namibie (ECN) qui, bien qu’imparfaite, est considérée comme impartiale et concentrée sur le bon déroulement des élections. Par le passé, l’ECN avait saisi le tribunal électoral après que les partis d’opposition avaient soulevé des irrégularités.
Le système judiciaire namibien est également généralement considéré comme étant à l’abri de toute influence politique. Ainsi, la Cour suprême s’est saisie déjà d’affaires portées par l’opposition et s’est prononcée contre les positions prises par l’ECN.
La Namibie est l’un des environnements les plus ouverts d’Afrique en matière de respect de la liberté de la presse, ce qui contribue à accroître la transparence et la redevabilité du gouvernement.
La Commission anticorruption de Namibie (ACC) a engagé des poursuites à l’encontre de hauts fonctionnaires, dont six anciens ministres, dans le cadre du scandale dit de « fishrot » (c’est-à-dire « poisson pourri ») concernant l’accès préférentiel aux eaux namibiennes d’une société de pêche islandaise. Les critiques soutiennent cependant que l’ACC pourrait être plus agressive.
La Namibie a innové en matière de sécurité maritime.
Compte tenu de l’importance de la pêche pour l’économie et les moyens de subsistance de ce pays doté d’un littoral de 1 600 km, la Namibie a innové en matière de sécurité maritime. On estime que la Namibie perd chaque année 400 tonnes de poisson à cause de la pêche illicite, non réglementée et non déclarée (INN), principalement au profit de navires de pêche chinois. Dans le cadre de l’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du Port (PSMA), la Namibie effectue des patrouilles conjointes avec les pays voisins. Afin de renforcer la surveillance et la protection de ses ressources maritimes, la Namibie a coopéré avec un consortium d’organisations du secteur privé, d’universités et d’organisations non gouvernementales. La mise en œuvre des efforts visant à protéger les pêcheries namibiennes sera un thème de campagne important en 2024.
De la gestion de son espace maritime au renforcement de son système multipartite tout en conservant sa réputation de transparence, les enjeux des élections namibiennes de 2024 seront importants. Sur chacun de ces fronts, la Namibie aura l’occasion de continuer à jouer son rôle de faiseur de normes pour le continent.
Ghana
Élections présidentielles et législatives, 7 décembre
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Les élections présidentielles ghanéennes verront l’arrivée d’un nouveau dirigeant, le président Nana Akufo-Addo quittant ses fonctions à l’issue d’un second mandat limité par la Constitution. Cette cinquième succession présidentielle au Ghana depuis le retour au multipartisme démocratique en 1992 renforce la réputation du pays d’avoir institutionnalisé des transitions présidentielles prévisibles et fondées sur des règles. Trois de ces transitions précédentes ont eu lieu entre des partis politiques rivaux, ce qui souligne l’engagement des Ghanéens à respecter les résultats électoraux et le partage du pouvoir.
Ces transferts de pouvoir ont eu lieu entre les deux principaux partis politiques du Ghana, le New Patriotic Party (NPP) d’Akufo-Addo et le National Democratic Congress (NDC). Le candidat à la présidence du NDC est John Mahama, président du Ghana de 2012 à 2017. Il a perdu des élections très disputées face à Akufo-Addo en 2016 et en 2020 et a renforcé ses références démocratiques en acceptant gracieusement sa très courte défaite en tant que président sortant en 2016 et en facilitant le transfert de pouvoir en douceur.
Le porte-drapeau du NPP sera le vice-président Mahamudu Bawumia. L’ancien gouverneur adjoint de la Banque centrale est connu comme un technocrate. Premier musulman à diriger le NPP, dominé par le Sud, M. Bawumia se présente comme un bâtisseur de ponts entre les différents électorats du Ghana.
Compte tenu de l’étroitesse des élections récentes et de la parité au Parlement — chaque parti présentant 137 représentants — cette élection devrait également être très compétitive. Les résultats des élections à deux tours au Ghana (50 % plus un) ont été largement acceptés par l’électorat ghanéen en raison du leadership dont ont fait preuve les candidats rivaux et de la confiance dans l’impartialité des institutions ghanéennes.
La commission électorale a une réputation de professionnalisme, d’indépendance et d’intégrité à l’intérieur et à l’extérieur du Ghana. Elle s’est d’ailleurs efforcée de la préserver par la transparence et une communication cohérente avec toutes les parties. La Commission a adopté la réforme de l’inscription continue sur les listes électorales depuis l’élection de 2020 afin d’augmenter la participation.
La Commission électorale est réputée pour son professionnalisme, son indépendance et son intégrité.
La démocratie ghanéenne bénéficie d’une société civile vigilante et bien organisée. Les acteurs de la société civile ont été à l’avant-garde des réformes électorales, en élargissant la participation des citoyens et en renforçant la confiance dans le processus. La société civile a notamment organisé des débats télévisés entre les candidats à l’élection présidentielle afin d’informer les électeurs sur les positions respectives des candidats sur les questions politiques importantes auxquelles le pays est confronté. Toute allégation de corruption fait également l’objet d’une grande attention médiatique.
L’inspecteur général de police (IGP) a également joué un rôle central dans la garantie de l’indépendance du processus électoral. Lors élections partielles de 2023 à Assin North, les tensions initiales ont notamment été apaisées après que l’IGP a rencontré les chefs de partis locaux, ce qui a permis d’instaurer la confiance dans les dispositifs de sécurité. Le siège contesté a finalement été remporté par la NDC.
L’armée ghanéenne jouit également d’une réputation de professionnalisme et de neutralité durement acquise. Sur la base des leçons tirées des cycles électoraux précédents, l’armée est reléguée au second plan par rapport à la police pour assurer la sécurité des élections, tout en étant prête à apporter son soutien en cas de besoin.
Les institutions démocratiques du Ghana ne sont pas exemptes de défis. L’année électorale a été marquée par des rumeurs selon lesquelles Akufo-Addo essaierait de remplacer l’IGP, accusations démenties par le NPP. La police a également été critiquée pour la force avec laquelle elle réagit parfois aux manifestations. La Cour suprême a statué en 2023 que le président avait illégalement limogé l’auditeur général en 2020 dans une affaire portée par des réformateurs de la société civile. En outre, une minorité de médias contrôlés par des hommes politiques adoptent des positions partisanes dans la couverture de l’actualité, ce qui favorise la polarisation.
Les élections de 2024 se déroulent dans un contexte de forts vents économiques contraires pour le Ghana. En raison de la pandémie du COVID, de la perturbation des réseaux d’approvisionnement en céréales et autres en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et d’une discipline monétaire et fiscale insuffisante, les Ghanéens ont dû faire face à une inflation rapide. La dette qui en résulte a nécessité un renflouement d’urgence par le FMI à hauteur de 3 milliards de dollars, ce qui a mis le NPP sur la défensive.
Alors que le rythme et la létalité des organisations extrémistes violentes (OEV) s’intensifient au Sahel, le Ghana est également confronté à une menace croissante de violence à sa frontière nord, en provenance du Burkina Faso. Le gouvernement et les responsables de la sécurité devront donc s’engager de manière proactive auprès des communautés locales afin de contrer les messages des OEV visant à amplifier les griefs et à susciter la méfiance à l’égard du gouvernement.
Les Ghanéens doivent donc tenir compte de la sécurité régionale et des priorités nationales lors des élections de 2024. Un débat sain et l’articulation de visions concurrentes pour un pays sont essentiels à de véritables élections et à l’autocorrection inhérente aux démocraties. Les Ghanéens devront toutefois garder le contrôle du récit de leurs élections, de peur que des polémiques polarisantes ne sapent les piliers mêmes des institutions démocratiques que le pays a laborieusement obtenues.
Soudan du Sud
Élections présidentielles et législatives, 22 décembre (reportées)
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Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, s’est fait une carrière politique en reportant les élections, ce qui lui a permis de rester président de facto depuis 2005, bien qu’il n’ait été autorisé à exercer qu’un seul mandat de quatre ans à la suite du vote d’indépendance du Soudan du Sud en 2011. Depuis lors, il a été prolongé en 2015, 2018, 2020 et 2022.
L’annonce par Kiir de la tenue d’élections en 2024 mérite donc d’être soulignée. En revanche, son intention de se porter candidat n’est pas surprenante. Il est le seul président que ce pays de 11 millions d’habitants, le plus jeune d’Afrique, ait jamais connu. Propulsé à la tête de la politique nationale après la mort prématurée, en 2005, du leader indépendantiste du Soudan du Sud, John Garang, cet ancien commandant de l’armée de guérilla, âgé de 72 ans, semble avoir l’intention de conserver le pouvoir indéfiniment. Outre le report des élections, M. Kiir bénéficie d’une constitution transitoire de 2011 qui ne prévoit pas de limite aux mandats présidentiels (bien que le dialogue national de 2020 ait unanimement appelé à l’adoption d’une telle limite).
Le Soudan du Sud est en proie à de graves troubles depuis qu’il a sombré dans la guerre civile en 2013 — résultat d’une rivalité politique de longue date entre Kiir et Riak Machar — avec de fortes connotations ethniques étant donné que chaque dirigeant a mobilisé le soutien de ses bases ethniques respectives, les Dinka et les Nuer, les deux ethnies les plus nombreuses au Soudan du Sud.
Des milices armées sillonnent les campagnes, se livrant à des violences et à des pillages en toute impunité.
On estime que le conflit a coûté la vie à plus de 400 000 personnes. Bien qu’il s’agisse désormais d’un conflit de faible intensité, des milices armées (souvent à base ethnique) sillonnent les campagnes, se livrant à des violences et des pillages en toute impunité. Le traumatisme et la peur de cette violence sont profondément ancrés dans la population. Le Soudan du Sud a la particularité ignominieuse de compter une plus grande proportion de réfugiés (42 %) que n’importe quel autre pays d’Afrique. En règle générale, les réfugiés rentrent chez eux dès qu’ils peuvent le faire en toute sécurité. Le fait qu’ils refusent de le faire au Soudan du Sud est donc révélateur.
Le déclenchement d’un conflit au Soudan en 2023 est venu s’ajouter à ces tensions. Plus de 400 000 réfugiés Sud-Soudanais ont ainsi été contraints de retourner dans l’insécurité de leur pays d’origine, qu’ils avaient tenté de fuir. Les trois quarts de la population du Soudan du Sud ayant besoin d’une aide humanitaire, ces derniers déplacements de population viendront alourdir des efforts d’assistance déjà mis à rude épreuve.
Le Soudan du Sud représente sans doute l’environnement électoral le plus difficile auquel l’Afrique ait été confrontée ces dernières années. Le pays se classe au bas de l’échelle mondiale, ou presque, selon l’indice de développement humain des Nations unies, l’indice mondial de liberté de Freedom House et l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Le Soudan du Sud est un vaste pays enclavé de la taille de l’Afghanistan, au relief accidenté et aux plaines de faible altitude, dont la moitié des comtés sont sujets à des inondations qui déplacent jusqu’à un million de personnes par an. Le revenu par habitant du Soudan du Sud s’est contracté pour atteindre environ un quart de ce qu’il était au moment de l’indépendance, malgré des revenus pétroliers considérables, qui sont largement contrôlés par l’élite Sud-Soudanaise ayant des liens avec le gouvernement.
Le plus grand obstacle à la tenue d’élections viables au Soudan du Sud est peut-être l’absence de volonté politique d’organiser des élections, de créer des organes de surveillance indépendants, de lutter contre la corruption ou de mettre en place une armée professionnelle.
Malgré ces défis logistiques et économiques, le plus grand obstacle à la tenue d’élections viables au Soudan du Sud est peut-être l’absence de volonté politique, non seulement pour organiser des élections, mais aussi pour créer des organes de surveillance indépendants, lutter contre la corruption ou mettre en place une armée et une police professionnelles. Les institutions politiques démocratiques restent faibles ou absentes, perpétuant un partage du pouvoir ou une responsabilité limités. En plus de l’insécurité généralisée, les dirigeants politiques de l’opposition, les leaders de la société civile et les journalistes sont régulièrement menacés de violence ou de détention.
Les élections de 2024 sont en outre subordonnées à la réalisation d’un recensement par le gouvernement et à l’adoption d’une nouvelle constitution — des exercices institutionnels difficiles en toutes circonstances. Ces conditions préalables peuvent encore servir de prétexte à de nouveaux retards électoraux et à des reports de mandat de facto.
Malgré ces graves difficultés, le Soudan du Sud dispose d’une société civile résistante qui continue de réclamer des réformes, une plus grande transparence et la redevabilité du gouvernement. Le réseau d’églises du Soudan du Sud a été une source particulièrement importante de capital social et un moyen de faciliter le dialogue entre les diverses communautés du pays au fil des ans.
Les réformateurs se sont concentrés sur l’adoption de la loi sur les élections nationales en 2023, qui institue une plus grande représentation géographique ainsi qu’un seuil de 35 % de représentation féminine tirée des listes de partis. La loi vise à garantir l’inclusivité et à réduire la monopolisation du pouvoir par un seul parti. Une deuxième loi intéressante est la loi sur les partis politiques, qui prévoit des mécanismes de régulation des partis politiques du Soudan du Sud, influencés de manière notoire par la personnalité, en faisant respecter les normes internes de gouvernance démocratique et de responsabilité dans les constitutions des partis.
Le pays s’est également engagé dans un effort longtemps retardé pour créer une armée nationale unifiée de 83 000 hommes en intégrant les forces des milices de l’opposition. Les premiers déploiements de cette force unifiée ont eu lieu à la fin de l’année 2023.
Compte tenu du contexte difficile dans lequel se trouve le Soudan du Sud, toute avancée démocratique en 2024 sera probablement progressive. Toutefois, les efforts visant à promouvoir des organes de surveillance plus indépendants, tels qu’une commission électorale, un comité de rédaction de la constitution, un comité de recensement, une banque centrale et un conseil de surveillance de la sécurité, seraient déterminants pour la mise en place d’institutions politiques qui répondent aux aspirations des citoyens du Sud-Soudan. Cela sera essentiel pour que la classe politique très polarisée du Soudan du Sud s’éloigne des mentalités de gouvernance si destructrices où le gagnant emporte tout.
Guinée-Bissau
Élections présidentielles, décembre (reportées)
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La Guinée-Bissau est confrontée à un environnement électoral turbulent en 2024 — une situation familière pour ce pays côtier d’Afrique de l’Ouest de 2 millions d’habitants qui a longtemps traîné d’une crise à l’autre.
La Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État et plus d’une douzaine de tentatives putschs, tout en subissant 23 ans de gouvernement direct ou militaire depuis son indépendance du Portugal en 1973. Le président Úmaro Sissoco Embaló a destitué le Parlement à deux reprises en deux ans (y compris en décembre 2023) en invoquant des tentatives de coup d’État, ce qui a contribué à la paralysie du gouvernement.
En Guinée-Bissau, en 2024, il s’agira surtout de savoir comment créer et maintenir une dynamique en faveur d’un système de gouvernement stable et de garde-fous institutionnels contre les abus de pouvoir.
Bien que les principaux partis politiques n’aient pas officiellement présenté leurs candidats, l’élection de 2024 pourrait être une reprise du scrutin de 2019, quand le président Embaló avait obtenu 53,5 % des voix contre 46,5 % pour Domingos Simões Pereira.
L’instabilité de la Guinée-Bissau se manifeste à de nombreux niveaux.
Au cœur du dysfonctionnement de la gouvernance se trouvent des visions concurrentes du rôle de l’exécutif dans le système semi-présidentiel du pays. Dans ce cadre, le président est le chef de l’État et le premier ministre, choisi par le parlement, est le chef du gouvernement, qui choisit les ministres et fixe l’ordre du jour. Ce système a été adopté par la Constitution de 1993 pour renforcer la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le parlement et le judiciaire. Il avait été conçu en réponse au règne de 19 ans du président João Bernardo Vieira, qui avait concentré le pouvoir au sein de l’exécutif, facilitant les abus de pouvoir et l’impunité.
Le président du Parlement Pereira et sa Plate-forme de l’alliance inclusive-Terra Ranka (PAI-TR) est constitué d’une coalition de petits partis qui s’associe au pilier de la libération, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, le PAIGC. Ensemble, ils ont proposé des réformes constitutionnelles visant à clarifier les pouvoirs du président et du premier ministre. Embaló, qui est issu de l’ancien système présidentiel centré sur l’État et proche de l’armée, espérait plutôt obtenir une majorité parlementaire lors des élections législatives de juin 2023 pour faire passer sa vision revancharde du pouvoir présidentiel dans une nouvelle constitution. Mais le PAI-TR a remporté la victoire avec une majorité de 54-48 au Parlement. La coalition bénéficie également du soutien de 12 autres députés issus de partis alignés.
Embaló a réagi à ce revers en créant un cabinet fantôme de « conseillers présidentiels », composé d’anciens ministres et de responsables de la sécurité ayant des liens étroits avec l’armée et la police. Les dissolutions du parlement par Embaló et la révocation temporaire du premier ministre, Geraldo Martins, en décembre 2023, ont été d’autres moyens par lesquels il a tenté de mettre le pouvoir législatif sur la touche et d’exercer l’autorité exécutive.
En Guinée-Bissau, l’autorité gouvernementale est souvent synonyme de contrôle du patronage. Cela va du trafic de stupéfiants à l’exploitation forestière illégale, en passant par le contrôle des marchés publics et le détournement des recettes fiscales. La Guinée-Bissau est depuis longtemps considérée comme la principale plaque tournante du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest pour les cartels de la drogue d’Amérique latine. Il semblerait que la contrebande de stupéfiants ait augmenté sous Embaló, la dernière grande saisie de drogue datant de 2019. La Guinée-Bissau est régulièrement classée parmi les pays les plus corrompus du monde dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Cet héritage de favoritisme est profondément lié aux services de sécurité. L’armée et la police ont toujours été utilisées par les dirigeants politiques pour protéger leurs intérêts politiques. Cette politisation a, à son tour, incité les chefs militaires à utiliser leur position officielle pour poursuivre leurs intérêts financiers et, parfois, à monter des coups d’État contre leurs maîtres politiques. Cela a été un autre facteur clé de la volatilité de la Guinée-Bissau.
L’instabilité persistante de la Guinée-Bissau a eu un impact sur la qualité de vie de ses citoyens, le pays étant à la traîne du continent en termes de revenu par habitant, de taux de mortalité et de niveau d’éducation. L’amélioration des services de santé et d’éducation a été un élément clé de la plate-forme de campagne gagnante du PAI-TR lors des élections législatives de 2023 et sera probablement aussi au cœur des élections présidentielles de 2024.
Le vote de 2024 a donc des implications significatives non seulement pour les priorités politiques de la Guinée-Bissau, mais aussi pour son modèle de gouvernement et son système d’équilibre des pouvoirs.
Malgré sa longue tradition d’instabilité politique, la Guinée-Bissau a également connu des élections et des alternances relativement compétitives. Cela est dû en partie à la composition professionnelle de la Commission électorale nationale (CEN). Le secrétariat exécutif de la CEN est composé de magistrats nommés par le Conseil supérieur de la magistrature et élus par les deux tiers du Parlement pour un mandat de quatre ans. Les dissolutions de parlement empêchent de pourvoir les postes vacants au sein du secrétariat exécutif, ce qui entrave la préparation des élections.
Les acteurs de la société civile continuent de réclamer des réformes qui institutionnaliseraient une plus grande transparence et une meilleure surveillance.
La société civile bissau-guinéenne est une colle qui aide le pays à surmonter les nombreuses tempêtes politiques auxquelles il est confronté. Malgré les nombreux revers, les acteurs de la société civile continuent de faire pression pour obtenir des réformes qui institutionnaliseraient une plus grande transparence et une meilleure surveillance des fonds publics et de l’élaboration des politiques publiques afin qu’ils servent les intérêts des citoyens.
Leur rôle actif dans les élections sera une caractéristique essentielle des élections de 2024.
La Guinée-Bissau a également bénéficié au fil des ans d’engagements régionaux et internationaux actifs. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, dirigée par le Sénégal, la Communauté des pays de langue portugaise, l’Union européenne, le Portugal, la France et le Fonds monétaire international se sont tous engagés à aider la Guinée-Bissau à se stabiliser. Entre autres initiatives, cela s’est traduit par le déploiement d’opérations de paix prolongées, un soutien financier et la participation à des négociations avec des tiers.
Au-delà des résultats électoraux, l’histoire électorale la plus importante de la Guinée-Bissau en 2024 sera de savoir comment créer et maintenir une dynamique en faveur d’un système de gouvernement stable et de garde-fous institutionnels contre les abus de pouvoir.
Guinée
Élections présidentielles et législatives, décembre (reportées)
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Cette année sera une charnière pour la trajectoire de la transition de la Guinée vers un retour à la démocratie. Une junte militaire dirigée par le colonel Mamady Doumbouya a pris le pouvoir des mains du premier président démocratiquement élu de la Guinée, Alpha Condé, en septembre 2021. Dans le cadre d’une feuille de route de transition en 10 points négociée avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la junte s’est engagée à organiser des élections présidentielles et législatives d’ici décembre 2024.
En apparence, l’engagement de la junte auprès de la CEDEAO la distingue des autres putschistes en Afrique de l’Ouest. En effet, la junte guinéenne a également maintenu l’interdiction faite aux dirigeants issus de l’autorité militaire de transition de faire partie d’un nouveau gouvernement.
La situation de la Guinée se différencie également par le fait que l’armée a renversé un président qui avait violé la limite de deux mandats fixée par la Constitution, et ce malgré les nombreuses manifestations populaires contre l’extension de cette limite et ses justifications juridiquement douteuses. La junte guinéenne a d’ailleurs permis un certain débat public relatif aux véritables réformes constitutionnelles (tout en excluant d’importantes voix de l’opposition). Les réformes proposées consistent notamment à soumettre les nominations de l’exécutif à la surveillance parlementaire, à renforcer la protection des organes indépendants contre les ingérences politiques et à renforcer la limite de deux mandats présidentiels.
Le régime militaire guinéen a notamment refusé de rejoindre l’alliance des juntes militaires (Mali, Burkina Faso et Niger) qui ont activement défié la CEDEAO tout en reconnaissant les revendications, illégitimes, des uns et des autres au pouvoir.
Malgré l’engagement déclaré de la junte guinéenne à poursuivre la transition, sa mise en œuvre a manqué de transparence, de respect des délais et d’allocations budgétaires adéquates, ce qui amène les dirigeants civils à se demander si le calendrier sera respecté ou si la junte ne fait que retarder le retour à un régime constitutionnel démocratique. Parmi les principaux points de discorde figure le projet de la junte d’organiser un recensement avant les élections, qui servirait ensuite de base à l’établissement d’un nouveau fichier électoral. Doumbouya a également annoncé des plans pour un référendum constitutionnel en 2024, bien que le document lui-même reste à rédiger et que les détails sur le processus soient rares.
La question qui se pose aujourd’hui aux Guinéens est de savoir si 2024 sera le moment où le pays retrouvera le chemin de la démocratie.
Les dirigeants de l’opposition soutiennent que l’inscription des électeurs et l’administration des élections devraient être gérées par des organismes indépendants afin d’accélérer le processus et de limiter les conflits d’intérêts, et que toute réforme constitutionnelle devrait attendre la mise en place d’un gouvernement légitime et démocratiquement élu. La question de savoir si l’élection précédera le processus de révision de la constitution sera donc un point focal pour 2024.
Les principaux partis politiques guinéens et les organisations de la société civile, regroupés sous la bannière des Forces vives de la Guinée (FVG), ont organisé des manifestations périodiques pour faire valoir ces points et exiger de la junte qu’elle respecte le calendrier de la transition dans le cadre d’un processus transparent et participatif.
La junte a parfois répondu à ces défis en intimidant les journalistes et les dirigeants de la société civile qui l’ont critiquée. Elle a notamment eu recours à des milices armées et à des arrestations pour réprimer les manifestations, que la junte a interdites depuis 2022. L’espace médiatique demeure restreint, plusieurs médias étant interdits et l’accès à l’internet périodiquement suspendu.
Cette résistance au régime militaire témoigne de la résilience de la société civile et du mouvement démocratique guinéens. La Guinée a été l’un des derniers pays africains à organiser des élections multipartites compétitives, qui n’ont eu lieu qu’en 2010. Cette étape n’a été franchie qu’après le tristement célèbre massacre de plus de 150 manifestants civils du stade de Conakry de 2009 et le viol de douzaines de femmes orchestrés par le gouvernement militaire de Moussa Dadis Camara. Le procès des responsables, longtemps retardé, n’a commencé qu’en 2022, sous la junte de Doumbouya, bien qu’il se soit déroulé par à-coups.
La résistance civile guinéenne s’est construite sur un long héritage de régime répressif et non redevable. Les Guinéens ont beaucoup souffert sous le règne dictatorial de 25 ans (1958-1984) de Sékou Touré, suivi du régime de 24 ans (1984-2008) du général Lansana Conté.
Ces épreuves et ces droits acquis de hautes luttes ont gravé dans la psyché guinéenne un profond engagement en faveur de la démocratie. La limitation des mandats est une question particulièrement viscérale compte tenu des décennies de règne des régimes précédents. C’est pourquoi la résistance au troisième mandat anticonstitutionnel d’Alpha Condé a été si passionnée et généralisée.
La question qui se pose aujourd’hui aux Guinéens est de savoir si 2024 sera le moment où le pays retrouvera le chemin de la démocratie. Cela permettrait au pays de renouer avec l’investissement, le développement et la croissance économique. Au cours de sa décennie de progrès démocratique, la Guinée avait réalisé un taux de croissance économique annuel médian par habitant de 2,9 %. À titre de comparaison, la croissance économique avait été inférieure à 1 % au cours des 25 années précédant 2010.
Le retour à un régime démocratique civil permettrait également à l’armée guinéenne de beneficier d’ un éventail plus large de coopération en matière de sécurité.
Le retour à un régime démocratique civil permettrait également à l’armée guinéenne de bénéficier d’un éventail plus large de financements et de formations dans le cadre de la coopération en matière de sécurité, ce qui pourrait s’avérer essentiel dans la mesure où l’insurrection islamiste au Mali se rapproche de plus en plus de la frontière septentrionale de la Guinée.
On peut s’attendre à des interventions russes visant à faire dérailler la transition guinéenne, étant donné l’implication de longue date de la Russie dans l’exploitation de la bauxite en Guinée, le soutien de Moscou au troisième mandat de Condé, l’influence considérable de la Russie sur les autres juntes militaires du Sahel et les efforts délibérés du Kremlin pour saper la démocratie dans d’autres régions d’Afrique.
Malgré les nombreux obstacles à une transition démocratique en douceur en 2024, il existe des trajectoires viables, des incitations et une volonté populaire pour que les Guinéens y parviennent. Le résultat dépendra probablement de la persistance de la société civile guinéenne, de la vigueur de l’engagement de la CEDEAO et des acteurs démocratiques internationaux, ainsi que des assurances données à l’armée dans une Guinée post-junte.